Over the hills and far away ▬ Nathaniel

Un pas, deux pas, trois pas. Il marche droit devant, toujours la tête haute, toujours sans lâcher cette main. Ça serait criminel de s'en séparer. Il n'a même pas besoin de regarder son plan, un seul coup d’œil a suffit pour le mémoriser : suivre le chemin, contourner les arches et arriver aux parterres.

C'est simple, il n'y a pas moyen de se tromper.

Il sifflote un air. Ok, c'est quoi ce sentiment ? Un genre d'euphorie ? Il est sacrément content d'être là. Ça aurait pas été possible sans elle, c'est impressionnant cet effet qu'elle a sur lui. Plus besoin de le nier, maintenant.

«Ah, trouvé !»

Et y'a pas que des parterres. La zone des fleurs, c'est plutôt un gros square avec plein de variétés différentes, des arbres colorés et une atmosphère unique. Enfin, c'est ce qu'il y avait marqué sur la brochure. Maiiiis ! Ok, c'est validé, elle est à la hauteur de sa réputation.

«Ouah, c'est super joli !» Ils s'arrêtent au centre des lieux. «Je me demande d'où il vient, cet arbre ? C'est la première fois que j'en vois un comme ça. T'as vu, Val ? On a bien fait de venir !»

Il lui offre un sourire doux comme le coton.

«Dis, y'a des trucs comme ça à Kalos ?»

Nath penche la tête. C'est bon, plus moyen de l'arrêter quand il est comme ça. Et le pire, c'est qu'il n'a pas terminé.

«Quoique, oui, forcément, vu que toi tu viens de là-bas. Haha.»

Bravo, la candeur incarnée.

Ah, ouais.

C'était un compliment.

C'est marrant. Un peu dérangeant, aussi. Il a l'impression que tout se bouscule dans sa tête, qu'il passe du Tokorico au Tiboudet sans s'en aperçevoir : y'a deux semaines, Val c'était encore la starlette un peu chiante qui se plaignait tout le temps, la cible parfaite pour se faire taquiner et lui permettre de vivre sans trop se bouger les fesses.

Mais maintenant ?

Qu'est-ce qui a changé ? Pourquoi est-ce qu'il arrive plus à la voir comme une star ? C'est pas juste une célébrité. C'est pas juste non plus une personne avec qui il aime tuer le temps. Il a beau chercher, ça lui semble sacrément plus compliqué, comme si il pouvait plus se passer d'elle.

«Haha, non, voyons..»

Il balance ça sans trop de conviction.

Parce que le garçon, il est perdu. Peut-être que Emy avait raison à son sujet ? Peut-être qu'il s'est même gouré sur toute la ligne. Ça serait étonnant, c'est pas la première personne intéressante qu'il fréquente, mais c'est quand même la seule à lui faire cet effet-là. Alors quoi ?

Il a envie d'être seul.

Et en même temps, il a pas envie de partir. Il lâcherait cette main pour rien au monde, il s'éloignerait d'elle pour aucun prétexte, et il pourrait tout simplement pas se résoudre à sacrifier ce sentiment pour un peu de répit. Alors oui, il se contente d'endurer ce cœur qui bat, qui enfonce sa poitrine comme un percussionniste qui frappe son instrument. Parce qu'il n'a ni réponse, ni moyen de s'échapper.

Si ce n'est de se laisser porter par son instinct ?

«C'est une promesse, alors ?»

Et il se rapproche, un peu, un peu plus, toujours un peu plus. Et ses joues se rougissent.

Et il se perd lui-même.

Q-U-O-I.

Oui.

Mais il s'est passé quoi, là ?

Un simple geste. Ça a rien d'exceptionnel, pourtant. Alors pourquoi il se sent comme ça ? Parce que c'est elle ? Parce qu'elle l'a devancé ? Parce que son cœur s'est arrêté de battre une seconde ? C'était tellement compliqué. Et pourtant, en un instant, tout est devenu simple.

Trop simple.

C'était rapide. Ses mains se sont raidies, ses yeux se sont clos. Ses sentiments ont dansé à l'unisson, mais pas seuls. Pas cette fois.

«...»

Le garçon rouvre les yeux. C'est rare, mais il est gêné, gêné au point d'en avoir les pommettes écarlates. Ça ne l'empêche pas de sourire, mais pas un sourire niais. Non, c'est plutôt une mine douce, un peu songeuse, un peu surprise, un savant mélange de rêve qui lui colle à la peau. Il ne le savait pas encore, mais il n'aurait pas pu aspirer à meilleur instant.

Alors quoi, qu'est-ce qu'il doit dire ?

Est-ce qu'il y a seulement des mots à prononcer dans ce genre de moment ?

Même s'il n'aime pas le silence.

«...»

Et ils sont encore tellement proches. Pourquoi s'évertuer à piéger des sentiments dans des lettres ?

Nathaniel répond au premier pas par un second. Il l'embrasse une nouvelle fois par pure avidité, par envie de bien comprendre ce qui l'anime aujourd'hui, par désir de ne pas se laisser distancer. C'est plus facile comme ça, non ? Ses doutes s'envolent, ils continuent de s'envoler. Non, il ne s'arrêtera pas en si bon chemin.

Mais encore une fois, c'est trop court.

Et le même sourire qui revient.

«Tu m'as manqué.»

«Ok, c'est promis.»

C'était prévu, de toute façon. Même idiot comme il l'est, même aussi peu perspicace, il reste toujours le premier quand il s'agit de suivre son cœur.

Et pour le coup, son cœur balance vers quelqu'un.

Alors ouais, il sera plus prudent.

Mais là, il va avoir besoin de temps pour réfléchir. Tout se passe vite, beaucoup trop vite, et même pour quelqu'un comme lui qui vit à toute allure, ça commence à être trop de choses à suivre d'un coup.

C'est éreintant.

«B-Bon !» Il promène son regard entre les branches. «On prend une photo tous les deux ? Et puis après on pourrait trouver un banc, non ? Je commence à avoir soif, et faim, et chaud, et..»

Bon ok, c'est un peu la fuite. Ou pas ? C'est pas la vraie fuite, mais c'est quand même un peu la lâcheté. C'est agréable de l'avoir dans ses bras, y'a probablement pas meilleur sentiment en ce bas-monde, mais en même temps, c'est beaucoup trop de pression pour un seul homme.

Il est pas prêt.

«Hmpf. C'est, euh, parce que j'ai le soleil dans les yeux !»

Alors qu'ils sont sous un arbre, bien joué.

Il rit.

Bon, ils ont leur photo, ça fera une jolie trace de leur passage. Même si le vrai souvenir, celui dont il se souviendra pour sûr, bah il est déjà gravé sur ses lèvres.

Aah !

Le garçon détourne les yeux. Il suffit qu'il y pense deux secondes pour que son cœur se serre. C'est trop nul ! C'est pas lui qui fonctionne comme ça, d'habitude..

«Allez !»

Il lui tire doucement la main et l'emmène jusqu'à un banc. Ça va, c'est pas compliqué, y'en a un peu partout dans le jardin : il se pose lourdement sur le bois et s'affale tout entier contre le dossier. Trop d'émotions, trop d'émotions, besoin de récupération..

Nathaniel penche la tête sur le côté, vidé. Il scrute la jeune femme, le regard vague, et alors que ses yeux se posent sur ses lèvres rosées, dans sa tête, le même refrain : «Mignonne.. Mignonne.. Mignonne.. Migno-AAAH !». Il regarde ailleurs.

Qu'on lui vienne en aide, putain.

Il fouille nerveusement dans son sac et attrape la limonade. Ok, Lorina Limited & Traditional Edition deux mille dix-sept, prête-lui ta force pour surmonter cette épreuve qui lui retourne le kokoro.

M'enfin, ce qui est marrant, c'est qu'il a beau faire la mijaurée, ça l'empêche pas de garder la main de Val contre la sienne. Nature, quoi, posée à même le banc.

«Tu as soif ?»

Il glisse à nouveau son bras libre dans le sac.

Ah merde, il a oublié le verre. Lol.

Bon bah..

Il sort la bouteille, la coince entre ses genoux et la débouche d'une main.

«J'ai oublié le verre !»

Bon..

Bon.

BON !

Il a compris. C'est bien, Emy a gagné, elle avait raison sur tout, et maintenant il se retrouve comme un débile. Nathaniel Miller est tombé amoureux. C'est ça la chute ? Bah c'est pas marrant. Parce qu'il avait pas prévu que ça arrive, parce que ça lui ressemble pas de s'attacher autant, et que le jeu s'est transformé en réalité.

Alors ok, il l'aime, et maintenant ?

Bah au moins, ça lui ôte un poids de la conscience. Plus besoin de réfléchir et de trouver des explications logiques : il n'y arrive pas, c'est juste pas son genre. Oui, c'est le pouvoir des sentiments, tralala.. C'est bon, il saisit.

Mais ça changera pas sa façon d'être.

Il lâche la main de Val, doucement.

C'est terminé ? Bah non, pas vraiment. En retour, il glisse son bras le long du dossier et le passe dans le dos de la jeune femme, pour se rapprocher d'elle, pour la rapprocher de lui, pour qu'il retrouve ces battements de cœur. Et...

Ouais, pas de soucis, ils sont de retour.

Alors il passe la bouteille de sa main libre, l'air de rien. Bon, ok, les joues toujours un peu rougies, mais il s'est habitué à force.

«Maintenant ? On a un peu marché, donc on fait une pause. Et puis après, je veux aller voir les pokémons. Tu penses qu'ils m'en voudront si je vais sur la pelouse ? Fin, ça va, c'est pas comme si j'allais marcher sur les fleurs quoi.»

Il fronce les sourcils.

«J'ai vu un Doudouvet en passant, et il parait que c'est beaucoup beaucoup BEAUCOUP trop doux.»

Le garçon dévoile son combo clin d’œil-pouce vainqueur.

«Donc il faut absolument que j'aille le caresser !»

Il sourit.

Est-ce, d'une certaine façon, il peut se dire qu'il a rempli un de ses objectifs ?

On dirait bien.

«Héhé, c'est mon boulot ! Mais tu sais, c'est que le début.»

Le garçon place sa paume en casquette.

«Y'a encore plein d'endroits que je voudrais visiter avec toi.»

Beaucoup trop.

«Alors j'espère que tu comptes rester encore longtemps !»

Il récupère son bras. C'est un peu frustrant, comme sortir de son lit un matin où l'on a pas assez dormi, mais y'a pas le choix ! Il faut bouger, continuer d'avancer, ne jamais s'arrêter. Toujours être en mouvement. Et il se lève d'un bond, s'étire tout en envergure : il fait bien trop beau pour s'enraciner.

«Doudouvet, j'arrive !»

C'est mort, il est parti. Bon, ok, il est pas très loin : il a juste enjambé la barrière pour aller retrouver les pokémons. Quelques Chétiflor un peu craintifs s'écartent sur son passage, mais il n'y prête pas vraiment attention. Il évite les fleurs comme il peut, prend garde à ne rien écraser, mais continue d'avancer, encore et encore, juste pour avoir le plaisir de caresser du coton.

C'est trop cool le coton.

Les pokémons fée n'ont même pas l'air gênés par sa présence. En réalité, il s'est assuré de ne pas avoir l'air trop brusque : un réflexe de ranger, sûrement. Le principal, c'est de mettre en confiance la cible, il n'est pas là pour la déranger après tout.

«Woaaah !» Il fait un grand coucou à la jeune femme. «Allez, Val, viens !»

C'est tout fluffy.

Clic. Pour une fois, c'est Nath qui immortalise sa camarade.

«Il parait qu'on utilise leur coton pour faire des oreillers qui coûtent cher.» Il sourit. «C'est vrai que ça ressemble, quand on y pense ! C'est tout doux..»

Elle doit avoir l'habitude, non ?

«Ils t'aiment bien, en tout cas. Tu p-..»

«Eh, les enfants ! Vous ne devriez pas être là. Revenez sur le chemin !»

«Ouiiii, désolé ! Hahaha.»

Le vigile pousse un soupir. A voir son visage, c'est sûrement pas la première fois qu'il doit rappeler quelqu'un à l'ordre.

Ni la dernière, d'ailleurs.

Nath salue les petites bêtes d'un grand geste et fait volte-face.

«Bon, Val..» Il lui attrape la main, toujours avec la même mine enjouée. «On y va !»

C'est déjà bien d'avoir pu venir.

Il l'emmène jusqu'au chemin, et s'excuse au passage de nouveau auprès de l'employé. C'est quoi, la suite ?

Les arches, c'est bien.

Et il se remet en marche, instoppable : le temps passe vite, beaucoup trop vite, et s'ils s'arrêtent maintenant, ils n'arriveront jamais à tout faire. Bon, après, est-ce que c'est grave ? Pas sûr. Mais cette journée est trop parfaite pour qu'elle lui échappe : il a envie qu'elle ne se termine jamais, qu'elle recommence encore et encore, comme une boucle.

Comme dans les films.

Ils arrivent aux petites constructions florales. C'est joli, c'est propre, et le soleil ne passe quasiment pas : c'est un petit moment de répit à l'ombre, à l'abri de toute la pagaille printanière.

Un grand tunnel de lierre qui traverse le jardin d'un bout à l'autre.

Il marche doucement, trop doucement. Il n'est même plus pressé, finalement ! C'est dire comment il change d'avis.

Et puis il s'arrête, fixe la jeune femme.

Parce qu'il a besoin de mettre les choses au clair. Pour lui et pour elle.

«Val, je pense que ça tombe sous le sens, mais..»

Il rougit un peu. Ça y est, il est sûr.

«Mais bon. Je t'aime, voilà.»