Gueule de bois, visage de marbre [SOLO] 21/04

Pas d'alarme réveil. Volets fermés. Deux litres d'eau avant de me coucher. Un repas bien gras pour éponger le tout. Et pourtant, des nausées ont entrecoupé ma nuit jusqu'au petit matin. C'est le revers de la médaille. La bille noir du mal dans l'hémisphère du bien. Le corps réagit, essaye de se purger. L'esprit aussi. Il se remémore les souvenirs de la veille, les méfaits causés, les bienfaits accomplis. Une liste de pour et de contre s'établit alors dans la foulée. Est-ce que c'était rentable ? N'aurais-je pas dû rester chez moi à regarder la télévision ? Hier, l'avenir n'était pas encore tracé. Mais je peux maintenant conclure sur ses conséquences : je regrette la bouteille de scotch du Guinness et la campagne foireuse contre mes crimes.

L'alcool ne me réussit pas. La joie non plus. À quoi bon se dévêtir lorsque l'on maitrise un personnage à merveille. Troy sérieux ne se ridiculise pas. Troy sérieux n'a pas honte de ses affres. Troy sérieux dévisage le monde et survit. Qu'importe si la plèbe l'apprécie. Qu'importe si elle le déteste. Ce ne sont que des points de détail.

Ectoplasma s'assied en tailleur devant moi. Il me regarde. Me juge. Lui qui a le bon rôle dans l'histoire, passant de l'ombre de l'un et de l'autre sans faire de gaffe. Je me rappelle l'avoir envoyé protéger Caoimhe jusqu'au Centre ; de quoi ont-il parlé ?

Je tiens fermement ma bassine, prête à l'emploi. Je pourrais me purger l'estomac à force de me nouer les tripes ; j'ai mal au ventre, mais l'alcool n'en est pas le seul responsable. Les regrets me rongent les tripes. Un faux pas. Un simple faux pas. Ou une dizaine. Et puis... Pouf. Terminé. C'est la fin. Ou plutôt, le début de la chute.

Maître. Idiot.

J'adresse une pichenette sur le front éthéré du spectre.

Femme. Colère.

Merci, Ectoplasma. Je n'avais pas deviné. Je la pensais en train de rêver de notre soirée, de mon humour acerbe, de mon aura de charisme. Mais tu as tout gâché, honte à toi. Bordel... Le temps doit faire son œuvre. Je n'y penserai bientôt plus.

— Va jouer avec Nidorina.
Maitre. Triste.
— J'ai juste besoin de repos. Va jouer avec Nidorina.
Rina. Repos.
— Alors repose-toi avec elle.
Pas. Fatigue.

Je m'effondre sur mes oreillers. Le fantôme lévite devant mes yeux. Je ferme les miens ; il les rouvre. Puis dessine un sourire sur mon visage de marbre.

Debout.
— Ça va, ça va, je me lève...
Nourrir. Maître. Faible.
— Oui papa.
Maitre. Devoir. Oublier.
— ...
Ectoplasma. Rina. Maître. Famille.
Oublier. Femme.
— Ce n'est pas elle qui pose problème.
Sacrifice. Lutte. Anima.
Famille. Heureux.
Pas. Triste.
Oublier.
— D'accord, je vais « oublier ».
Ectoplasma. Sérieux.
— Je suis censé ravaler mon humanité pour atteindre mon ambition ? Faire taire cette putain de voix, qui me ronge les os et me pète les articulations, pour aller de l'avant les yeux fermés ? Me sacrifier encore une fois pour des gens qui ne le méritent pas ?
Oui.
— Ce n'est pas si facile.
Ectoplasma.
— Toi, tu es... ! (Je me tais.) Ehm. Tu es un Pokémon intelligent. Mais tu es encore trop jeune. Tu ne peux pas comprendre. J'en ai besoin, Ectoplasma. J'ai besoin de chaleur humaine. De sincérité franche, douce. Cette vie me racle la peau à l'opinel...
Oublier. ?.

Mon exaspération soupire. Oui. Elle-même.

— Je m'avoue vaincu. Va pour le petit déjeuner.

J'extirpe une jambe de mon lit, puis l'autre.

— Et... désolé pour la fournée de Poffins. Elle risque de passer à la trappe.
Sacrifice. Lutte. Anima.

Je souris.

— Parfois je me demande qui a eu l'idée d'infiltrer nos ennemis. Tu ne me l'aurais pas suggéré pendant mon sommeil, par hasard ?
Non. Dommage.
Ectoplasma. Aimer. Idée.
— J'ai vraiment de la chance de t'avoir.

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