La réaction d’Akane me fit éclater d’un petit rire discret. Je devais avouer partager son avis, car l’amertume du champagne n’était pas très agréable en bouche, et ce n’était certainement pas le fait qu’il s’agisse d’une boisson chère et « upée » qui allait changer quoi que ce soit à son goût. Notre amusement ne passa pas réellement inaperçu, et, même si quelques regards se tournèrent vers nous pour nous dévisager, nous n’y fîmes pas attention. Qu’importait de toute façon de bien se comporter avec le gratin de la population Mhyonaise : je n’y avais jamais fait attention, et ça ne serait sans doute jamais le cas. Tout ce qui comptait, ce soir, était qu’Akane passe une soirée parfaite pour notre premier réveillon. Et, même si le cadre n’était pas le nôtre, je comptais bien en profiter au maximum en sa compagnie.

« Le champagne est trop amer, je ne sais pas comment ils font pour autant l’apprécier. Si tu veux mon avis, c’est plus une convention sociale qu’autre chose dans leur milieu. » Lançais-je, amusé.

Bien vite, un serveur arriva avec quelques mises en bouche, qui, absolument délicieuses, portaient bien leur nom. Fort heureusement, dans ce genre de restaurant les services étaient toujours bien rôdés, et nous n’eûmes pas à attendre très longtemps pour être servis. Tous les plats étaient excellents, et je retrouvais tant la technique culinaire des grands-parents d’Artemis dans chacun d’eux que je me demandais si ça n’était pas directement eux qui cuisinaient. En réalité, la chose était loin d’être impossible. Après tout, leur restaurant était situé à Méridian et était particulièrement réputé dans toute la région. S’ils avaient accepté de servir de traiteurs à cet évènement, c’était sans doute à la demande du comte de Dulem directement.

« Oh tiens, cette nourriture me rappelle celle des grands-parents d’une amie, qui sont à Méridian. Ils ont un restaurant, la famille Bleuette, tu connais peut être ! Figure-toi que j’ai même combattu dans leur sous-sol pour un tournoi ! » Lançais-je à la belle spécialiste.

J’avais peine à croire que ces souvenirs soient aussi lointains. Mon arrivée à Mhyone datait pourtant bel et bien de plus de deux ans désormais, et les choses étaient passées à une vitesse folle. Mais c’était pour le mieux, à n’en pas douter.

La réflexion d’Akane était plutôt justifiée. Combattre dans les sous-sols d’un bâtiment avec mon équipe m’avait forcé à grandement retenir mes coups. Et puis, il s’agissait d’un combat duo, il ne fallait pas l’oublier, et je n’avais donc pas vraiment pu envoyer la totalité des forces de mes partenaires. Et puis, je l’avais aussi fait pour faire plaisir à Ivar, puisqu’après tout, la récompense lui était entièrement destinée. Mais Akane avait visiblement elle aussi vécu quelques aventures à Méridian. Et, apparemment, les aventures qui tournaient à la catastrophe étaient monnaie courante au château de Dulem.

« Faudra que tu me racontes ça ! J’ai hâte de savoir comment Nana et toi vous êtes débrouillés pour vous mettre dans la panade. » La taquinais-je à mon tour. « Et figure-toi que je ne voulais pas spécialement combattre à la base, et que je l’ai fait pour un ami qui souhaitait absolument obtenir sa récompense. Enfin, je te passe les détails, mais sache que je n’ai absolument rien cassé ! »

Le repas était particulièrement agréable, et, lorsqu’il fut fini, le comte de Dulem invita finalement tous les invités à rejoindre la piste de danse. La remarque d’Akane me fit sourire, car elle savait très bien que, pour ce qui était du bal, ce n’était certainement pas la timidité qui me retiendrait. Et puis, nous avions déjà eu l’occasion de danser ensemble durant l’un des rares moments de répit que nous avait offert le cauchemar. Mais cette fois-ci, nous allions pouvoir en profiter sans pression, sans risquer quoi que ce soit derrière. Nous n’étions que tous les deux au milieu d’une foule d’invités pour la plupart inconnu, mais tout était parfait. Je me levais donc avant de m’incliner avec cérémonie devant elle, et lançant sur un ton légèrement guindé pour accentuer l’effet mélodramatique :

« M’accorderiez vous cette danse, Mademoiselle Wise ? »

Nous nous rendîmes ensuite sur la piste, nous calant rapidement sur le rythme de l’orchestre et des autres couples. Sentir la proximité de la jeune femme me fit rapidement oublier tout le reste, et je gardais mes yeux plongés dans les siens. La situation était sans doute tendue à l’extérieur, et, en soit, Noël ne changeait rien à ce qui s’était passé et se passerait, mais, pour l’heure, je m’en fichais éperdument. Seul comptait à mes yeux la belle spécialiste avec qui j’échangeais ces quelques pas de danse, et rien d’autre.

La danse sembla durer éternellement, mais le bruit d’une petite clochette eut l’effet d’un déclic, nous ramenant, à contrecœur, à la réalité. Les musiciens avaient peu à peu cessé de jouer, et il était temps de finir la soirée avec un dessert d’aussi bonne facture que les plats précédents. Pourtant, je n’avais pas vraiment faim. Le moment passé à échanger des pas de danses avec la belle spécialiste avait éveillé de profonds sentiments à la fois nostalgiques et nouveaux, et je prenais surement conscience, jour après jour, d’à quel point je tenais à elle. Et ces pensées prenaient trop de place, beaucoup trop de place pour que la faim ou l’appétit ne viennent s’y greffer. La soirée était sans commune mesure avec tout ce que j’avais pu imaginer, et aucun des sentiments que je ressentais aujourd’hui ne semblaient s’en rapprocher.

Si je n’avais d’yeux que pour elle, le temps semblait s’allonger. Je n’avais en réalité envie que d’une chose, de quitter cette soirée mondaine pour me retrouver simplement seul avec elle. Les dernières minutes passèrent comme des heures, et, finalement, le comte demanda de nouveau l’attention des convives pour un petit discours de remerciement. Celui-ci fini, et après de brefs applaudissements, notre hôte prit congé, et un majordome vint nous trouver. Toutes les personnes présentes n’avaient pas réservé plus que la soirée et une grande partie se dirigeait vers le hall d’entrée. Nous fûmes, quant à nous, invité à suivre le domestique dans les étages supérieur, où se trouvaient les chambres. Au bout de quelques minutes de marche, il nous désigna une porte, puis s’éclipsa discrètement. Je fis un sourire à la jeune femme, lui désignant la porte et remettant la clef que m’avait confié l’homme dans la main.

« Ouvre, ça fait partie de ton cadeau après tout. » Lui lançais-je doucement, appuyant mes propos d’un léger clin d’œil.

Lorsqu’elle le fit, je constatais avec soulagement que le comte avait répondu à ma demande. Il s’agissait non pas de la chambre dans laquelle nous avions séjourné après notre excursion malheureuse au château, mais bel et bien de l’originale chambre d’Owen et Milla, qui avait été restaurée et ressemblait très pour trait à celle de l’époque, dans laquelle nous avions séjourné durant le cauchemar généré par l’Ectoplasma. Spacieuse et richement décorée, rien ne semblait manquer en comparaison de ce que nous avions vu à l’époque. Je me tournais alors vers Akane, espérant qu’elle reconnaitrait ce lieu si symbolique de nos aventures.

« Alors, ça te plait ? »

Je ne m’étais certainement pas attendue à une réaction aussi intense de la part d’Akane, et je ne pus m’empêcher de gratter l’arrière de ma tête, légèrement gêné. Mon but n’avait pas été de la faire pleurer, loin de là même, mais elle semblait comme moi tenir tout particulièrement à ces souvenirs. Je la laissais donc découvrir l’ensemble de la pièce en silence, ne voulant pas risquer de gâcher ce moment. Je me doutais qu’il ne s’agissait pas de larmes de tristesse, mais simplement d’émotions, et, lorsque la jeune femme vint enfin se blottir contre moi, je m’autorisais finalement à lui répondre.

« Ni trop, ni pas assez. Simplement ce que j’ai envie de faire. » Répondis-je simplement, sur un ton légèrement plus doux. « Et joyeux Noël, Akane. »

Notre embrassade fut interrompue par deux sons bien distincts. Le premier fut les coups de l’horloge qui annonçaient finalement que le jour dit était enfin arrivé, et le second fut une succession de petit coups frappés à notre porte. La belle spécialiste s’empressa d’aller ouvrir, et je dus réprimer un léger pouffement amusé en voyant Mitochondrie déguisée en père Noël. Visiblement, le Noël de nos pokémons ne devait pas manquer d’originalité. Mais, ce qui était le plus curieux outre sa fausse barbe, était le paquet qu’elle faisait léviter devant elle. Elle remit le cadeau – qui avait l’air de peser son poids – à sa dresseuse, et j’en profitais pour lui répondre.

« Joyeux Noël à t…- » M’interrompais-je, voyant que le pokémon psy avait d’ores et déjà disparu. « …aussi. »

Je me tournais alors vers Akane, mais, avant de pouvoir la remercier ou quoi que ce soit d’autre, le paquet sembla vouloir prendre les choses en mains. Le couvercle se souleva et la tête d’un pokémon bien connu apparut soudain. Le Phanpy, qui s’était visiblement tenu tranquille durant le trajet avec la partenaire de la spécialiste, semblait désormais vouloir se dégourdir les pattes. Après une lourde chute sur le sol, il se mit à décrire des cercles en roulant autour de moi, tout en jouant quelques airs de musique avec sa trompe.

De mon côté, je peinais à réagir, à réaliser et à comprendre. Le cadeau d’Akane me gâtait beaucoup trop, et je ne savais pas comment réagir. L’éléphanteau était adorable, plein de vie, et, surtout, très affectueux. Car, bien vite, il retourna également rouler près d’Akane comme pour lui signifier qu’il voulait également jouer. La jeune femme devait donc s’en être occupé depuis un petit moment… Ce qui expliquait surement les petits bruits étranges que j’avais entendus lors de mes quelques soirées dans sa maison, et surtout pourquoi Baal et Bridank semblaient avoir une passion pour les jeux à l’étage. Me rapprochant de la belle jeune femme, et après une longue caresse au Phanpy au passage, j’enlaçais de nouveau Akane et déposais un doux baiser sur ses lèvres.

« C’est plutôt toi qui as fait des folies, cette fois-ci. Mais je comprends mieux certaines de nos soirées. » La taquinais-je légèrement. « Il est vraiment adorable ! »

Un petit barrissement se fit entendre, et je baissais les yeux vers le petit pokémon sol qui nous regardais avec des grands yeux, visiblement impatient que notre attention se porte à nouveau sur lui.