Shooting et paparazzis. PV Brynhild

Le ferry avait annoncé son arrivée par un appel à la corne de brume. Postée près du bastingage, Rachel observa le port se rapprocher, le déploiement des employés et des passagers. La traversée s'était déroulée bien plus calmement qu'à l'aller – et tant mieux. Rachel n'avait aucune idée de savoir si elle aurait pu résister à une énième attaque de la Team Anima. Cette dernière se faisait d'ailleurs bien silencieuse. Il y avait bien quelques petites frappes qui profitaient de la confusion pour se faire passer pour eux, mais cela s'arrêtait à des petites attaques sans grande conséquence.

Si les conséquences stoppaient à ce stade et n'allaient pas plus loin, Rachel s'en satisferait.

Descendant du ferry, la jeune femme put remarquer que la foule se densifiait à un endroit bien précis. Sa Polichombr lévitant à ses côtés (la Pokémon avait décidé de prendre l'air, espérant retrouver l'élu de son cœur, croisé auparavant sur un autre ferry) Rachel se rapprocha de la foule. Une foule massivement féminine dont les cris se faisaient entendre à plusieurs mètres à la ronde. Une journée de soldes ? Non, aucune fille ne détenait de sacs estampillés avec le nom du magasin dessus. Alors quoi ?

En se rapprochant, Rachel eut la réponse. Un nom revenait à plusieurs reprises accompagnés de mots tels que « shooting », « exceptionnel », « mannequin » : Brynhild Skarlati. Rachel avait déjà vu ce nom dans quelques magazines et sur les réseaux dédiés à la mode du Pokéweb. Une mannequin de Hoenn dont une des apparitions publiques avait été faite lors du concours à Bord-au-vent. La jeune femme avait fini seconde, ce qui n'était pas rien.

Enhardie par la possibilité d'apercevoir une égérie de la mode, et une coordinatrice de talent, Rachel tenta de se frayer un chemin dans la foule. Et dire que Takeshi, lui, l'avait nargué en lui avouant qu'il avait pu discuter en tête à tête avec elle. La foule était dense, compacte, et Rachel sentit plus d'un coude la frapper dans les côtes. Elle avait beau multiplier les « Pardon, excusez-moi ! » la foule se resserrait autour d'elle.

Poussée par elle ne savait quel instinct, sa Polichombr fonça au-dessus d'elle, filant vers la mannequin.

La Polichombr s'esclaffa d'un rire aigu, désagréable. Rien n'amuse plus un Spectre que de terrifier son entourage, de le surprendre et lui instiller un peu de peur dans les veines. Tirant une épaisse langue rose, la Spectre nargue la mannequin. Déjà un des gardes chargés de la sécurité va à sa rencontre, tendant les mains pour la saisir. Swip – le Pokémon glisse, évite, lévite plus haut avant de descendre en piqué pour tourner autour de la mannequin. Les gardes hésitent, craignant de ne faire du mal à Brynhild en voulant se saisir du Pokémon.

De son côté Rachel a réussi à se rapprocher du cordon de sécurité. Des demoiselles se sont écartées de son sillage. Déjà des téléphones sont braqués pour filmer la scène, capter le sensationnel. Voyant sa Polichombr mener sa sarabande, Rachel n'écoute que sa pulsion, étouffe sa raison. Elle se glisse sous le cordon au risque de provoquer une effarouchée.

Une voix grave d'homme l'interpelle.

« Hey vous là ! On n'entre pas ! »

Rachel se stoppa net. Son index désigna la Polichombr à l'homme qui se rapprochait d'elle. Une armoire à glacé engoncé dans un costume, lunettes de soleil sur le nez. Le parfait archétype du garde du corps. Il avait même le teint mate.

« Je viens récupérer mon Pokémon. Elle... m'a échappé. »

Pour faire bonne figure, Rachel lui tend même sa Pokéball vide. Restant sur la défensive, l'homme tient à l'accompagner jusque auprès de Brynhild et de ses collègues, à qui il explique l'affaire. L'atmosphère se détendit progressivement alors que la Polichombr était rappelée dans sa Pokéball. Un des gardes ose même poser une question.

« C'est quoi comme Pokémon ? »
« Une... Une Polichombr. » Rachel s'inclina devant la mannequin, n'osant la regarder en face. « Je ne voulais pas vous gêner dans votre travail. Vraiment. »

La fille allait lui rire au nez ou la dédaigner et dire à ses hommes de la faire sortir. Quelle autre réaction aurait-elle face à un tel incident ?

Une star venait de l'approcher. Des filles avaient du manquer de défaillir en voyant Brynhild aussi proche, physiquement, d'une simple citoyenne. Rachel pouvait sentir des émanations de haine jalouse lui picoter l'échine. Mais ce ne fut rien aux côtés de la surprise que lui réserva Miss Skarlati. Participer à un shooting pro en la remplaçant au pied levé ? Toute abasourdie, Rachel se fit entraîne de force par le mannequin déboulant dans des coulisses surchauffées et, surtout, grondantes d'activité. Une fourmilière s'activait là, emplie de femmes et d'hommes s'affairant comme des ouvrières.

Une dame toute en longueur, fine comme une tige, le teint mat, se précipita vers elles. Rachel entendit distinctement ses talons claquer sur le sol.

« Mes chéries ! » Rachel aurait reconnu l'accent Kalosien entre mille. « Brynhild d'amour, que me ramènes-tu là ? Un petit Couaneton qui rêve de devenir Lakmécygne ? »

Rachel ferma vivement la bouche ne voulant pas donner l'impression que son visage était la parfaite copie d'un Magicarpe hors de l'eau. Cristine Cordule se tenait devant elle. Une égérie de la mode qui avait fait fureur à son époque et s'était reconvertie dans le stylisme et le relooking. Rachel crut voir la styliste et la mannequin échanger quelques mots. Elle n'aurait su dire tant son regard errait partout. L'effervescence des coulisses menaçait de lui monter à la tête.

Des mains l'agrippèrent pour l'amener jusqu'à une cabine d'essayage. Elle sentit qu'on lui ôtait ses vêtements, vit que son sac avait été posé à proximité. Telle une poupée malléable, Rachel se laissa faire, trop perdue pour comprendre.

« Que... que dois-je faire ? » demanda-t-elle aux gens l'environnant.

Son regard accrocha celui de Brynhild alors qu'elle s'extirpait de la cabine, relookée de pied en cap.

« Je... Je n'ai jamais fait ça. Je sais coudre. Un peu. Mais je ne sais pas prendre la pose et... »

Rachel s'inclina, complètement dépassée.

« Apprenez-moi... sensei. »

Elle n'aurait jamais cru prononcer ce mot.

Sous le crâne de Rachel son esprit turbinait à plein régime. Même si ce n'était que pour un temps, elle allait monter sur une estrade, participer à un shooting mené par des professionnels. Et cerise sur le gâteau, ces derniers lui faisaient des éloges qu'elle était certaine de ne pas mériter. Brynhild était plus belle qu'elle, Rachel en était convaincue. Ou du moins elle avait une assurance qui manquait à la Kalosienne et qui, elle, la rendait toute gauche.

L'estrade surplombait la foule qu'elles avaient quitté quelques instants plus tôt. Les rumeurs du public parvenaient à Rachel sous la forme houleuse d'une vague, un ressac qui l'assommait pour mieux repartir, et regagner de l'ampleur. La Kalosienne tourna la tête en direction de Brynhild, quêtant un soutien. Son regard se fixa sur le pouce levé.

« Ce n'est pas aussi douloureux que d'affronter un Champion d'arène. » se morigéna-t-elle en son for intérieur. « Vois cela comme un entraînement pour tes futures prestations de coordinatrice. »

Le photographe semblait lire en elle, ou avait vu des signes annonciateurs de stress sur son visage, car l'homme lui adressa quelques mots.

« Imagine toi sur la plage avec des amis. Tu verras. Ça va aller tout seul. »

Rachel hocha la tête, prenant bonne note du conseil du photographe. Suivant ses directives, elle prit plus d'une pose. Une main posée négligemment sur sa hanche tandis qu'elle semblait observer quelque chose au loin – elle avait veillé à fixer un point au-dessus de la foule pour ne pas croiser d'autre regard. Bras croisés dans le dos, elle faisait mine de se tenir contre une rambarde. Elle changeait de position à chaque flash, souriait aussi bien à un inconnu invisible qu'à l'objectif.

Lorsque le photographe annonça une pause, Rachel se massa les joues. Elle n'aurait jamais cru avoir tant mal aux zygomatiques !

Enhardie par la situation, se prêtant au jeu, bien plus qu'elle ne l'aurait cru, elle osa formuler une requête.

« Miss Skarlati ? Cela vous dirait de mener le prochain shooting avec moi ? Je pense qu'on peut avoir de belles photos en duo. Puis... Vous pourriez m'apprendre quelques astuces, sensei. »

Rachel avait volontairement usé de ce mot, ayant remarqué combien la mannequin semblait l'apprécier.

Elle avait accepté. Rachel sautillait presque derrière Brynhild en la suivant. La séance sous les flashs, les propos de la mannequin, le professionnel de l'équipe – tout l'encourageait à lâcher du lest, à se prêter au jeu et à faire fi des qu'on dira-t-on. La Kalosienne n'aurait jamais cru qu'une membre du show-biz se montrerait aussi humaine envers un simple membre de la populace. Après tout un ravin séparait leurs univers respectifs et Brynhild ne semblait en avoir cure, devisant avec Rachel comme si elle était son égale. La Kalosienne se doutait que toutes les célébrités ne devaient pas agir ainsi et que Brynhild devait être une exception à la règle.

« Je m'appelle Rachel Mirabeau. Je viens d'une ville portuaire de Kalos. » ajouta-t-elle comme pour combler un vide, ne pas paraître insipide ou banalement ordinaire. « J'ai fêté mes vingt-huit ans cette année. Est-ce que je peux... enfin... C'est un peu indélicat mais... Je peux te tutoyer ? »

Saisir les gens par la main, les serrer dans ses bras, les couvrir de bises – tout cela ne posait aucun souci à Rachel. C'était ancré dans ses gênes de Kalosienne, faisait partie intégrante de son caractère et de sa personne. Mais tutoyer quelqu'un qui appartenait aux hautes sphères de la société ou même, simplement, lui demander, ça requérait de la jeune femme une force phénoménale.

Au sein des coulisses, la fourmilière continuait son activité fructueuse et galopante. Près des cabines d'essayage, les employés disposaient les maillots de bains et paréos qui serviraient pour le prochain shooting. Plus d'un démontrait des motifs qui n'étaient pas, sans rappeler, ceux arborés par des Pokémons. De l'index Rachel désigna un ensemble deux-pièces.

« On dirait des écailles de Milobellus. J'avais tenté de créer un costume inspiré de ce Pokémon pour une amie, mais... »

Un pli soucieux se forma brièvement entre les sourcils de Rachel avant qu'elle ne secoue la tête.

« Ce n'est rien. Juste que je n'ai plus de nouvelles de cette personne. Alors ça me travaille encore parfois. »

La tape dans le dos manqua de faire bondir Rachel sur place, tant elle ne s'était pas attendue à un tel geste de la part de la mannequin. Ça, conjugué au fait que Brynhild l'avait défini comme une amie commençait à lui faire perdre tous ses repères. Si les filles de la foule, au dehors, avaient vu la scène, elles lui auraient arraché les yeux.

Rachel prit le maillot que lui tendit Brynhild non sans un sourire vague. Elle demanderait au photographe d'obtenir une copie des prises. Elle les enverrait à Kaori. Peut-être que la jeune fille répondrait alors à ses messages. La Kalosienne hocha la tête pour confirmer les derniers propos de Brynhild, s'engouffrant dans une cabine pour se changer. L'équipe devait avoir un compas dans l’œil – le maillot lui allait parfaitement. Lorsque Rachel s'en extirpa, elle ne put cacher son ébahissement devant la mannequin.

« Je crois qu'il n'y a jamais eu une Poissirène aussi séduisante dans tout l'archipel. »

Alors qu'elles se dirigeaient vers la scène pour la nouvelle séance, Rachel demanda : « Dis, tu penses que je pourrais avoir une copie des photos ? Ça me fera un beau souvenir de cette journée. »

Avant de se laisser entraîner dans une nouvelle vague de poses, Rachel remercia d'un geste le photographe qui brandit le pouce, signe qui dans n'importe quelle région signifiait toujours la même chose « De rien ! » ou encore « On gère. » Le shooting prit des accents de séances beaucoup plus détendues, donnant l'impression à Rachel d'accompagner un ami dans une cabine photo de centre commercial. Le côté petit espace étriqué en moins. Plus d'une fois la Kalosienne pouffa de rire, faisant mine d'être choquée lorsque le photographe choisissait justement ce moment pour la prendre en photo. Emportée par la liesse, la Kalosienne se retourna même vers les coulisses.

« On fait une photo de l'équipe au complet ? »

Rachel ne sut jamais quand le vent tourna. Mais ce fut comme un coulis glacé, un frisson qui dévalait votre nuque, vous dressant les cheveux et les poils sur les bras. L'air s'était chargé d'une tension palpable comparable à celle que l'on ressent à l'approche d'un orage. Une membre de l'équipe sortit des tréfonds des coulisses, sa main agrippant son téléphone.

« Elle arrive. »

Dans ce mot Rachel sentit toute la terreur que pouvait connaître un être humain. Dans un bel ensemble, un élan de fourmilière, chacun et chacune se mit à ré-ajuster ses vêtements, à se tenir plus droit. Cristina roulait presque des yeux.

« Mais elle était en congé maladie ! »
« Je sais ! » couina l'employée qui avait reçu le fatal appel. « Fichue Canarti... »
« Gaffe, elle va t'entendre. »

Rachel se retrouvait, petit élément étranger, totalement perdue au sein de cette cohue. Elle s'accrocha du regard à Brynhild telle une noyée en quête d'une bouée de sauvetage.

« Elle est... si terrifiante que ça ? »

Puis qui était cette femme que tout le monde craignait ?

HRP:

Rachel se sentait prise au piège, tel un vulgaire Asipcot se confrontant à la toile d'une Mygavolt. Elle n'avait aucun échappatoire. La fameuse Canartichard l'avait dans le viseur et ne la lâcherait pas. La Kalosienne admirait l'aplomb de Brynhild qui arrivait à lui parler la tête haute, et sans la moindre hésitation. Rachel hésita à tendre la main pour un salut en bonne et due forme mais finit par se raviser, se faisant la réflexion que la femme qui lui faisait face ne s'abaisserait pas à serrer la main d'une paysanne. Elle allait devoir jouer finement pour contrer cette femme ou, du moins, apaiser le volcan qui bouillonnait en elle.

« Rachel Mirabeau. Je suis... coordinatrice. »

Elle avait hésité sur le mot se faisant la réflexion que, n'ayant encore jamais participé à un concours, elle ne pouvait pas réellement se permettre de se considérer comme coordinatrice. Elle était davantage en apprentissage. Les mots dévalèrent de sa gorge, comblant le silence tendu, ne voulant pas laisser l'opportunité à son interlocutrice de lui couper l'herbe sous le pied.

« Je suis une amie de Brynhild. Je... J'ai mené quelques shootings avec elle mais j'ai veillé à suivre les directives de l'équipe pour demeurer professionnelle. Vous pouvez voir les photos et juger par vous-mêmes. »

Le photographe et Brynhild elle-même l'avaient complimenté. Et ce n'étaient sûrement pas des paroles en l'air. Canartichard ne dit mot, haussant simplement un sourcil. Elle claqua des doigts à l'adresse du photographe lui indiquant, par ce simple geste, de lui ramener les fameuses photographies.

« Bien entendu je ne veux nullement nuire au travail de l'équipe. Je partirais si je représente une gêne. »

Ne manquait plus qu'à attendre le verdict tandis que le photographe ramenait les clichés.