Tu avais quatorze ans, quand ta mère avait été affectée au Centre Pokémon de Rosalia, dans la région de Johto. Toi, tu étais née à Unys. Mais cela ne signifiait pas grand chose, à tes yeux. Vous n'étiez jamais restés plus de quelques années dans la même ville, après tout. Tu avais l'habitude des voyages, des déménagements — tu t'émerveillais de tout. Tu avais quatorze ans, et elle aussi. Elle s'appelait Sonoko. Elle était seule quand tu étais allée lui dire bonjour — elle était souvent seule, avant de te connaître. Mais vous aviez rapidement sympathisé, jusqu'à devenir inséparable. Toi, avec ces cheveux roses si caractéristiques, avec tes rêves plein la tête, ta curiosité, ton goût pour l'aventure. Et elle, avec ses longs cheveux de jais, ses manières gracieuses, sa timidité et son extrême délicatesse. Tu l'avais prise par la main pour l'entraîner à ta suite, tu lui avais montré ton monde. Elle, elle t'avait parlé de ta nouvelle ville, et t'avait appris à coudre. C'est ensemble que vous avez confectionné ton premier vrai costume ; un rêve qui prenait vie sous tes yeux, tandis que ses doigts graciles dirigeaient l'aiguille le long du tissu rose. Il vous avait fallu à peine un mois pour oublier comment vous aviez pu vous passer l'une de l'autre jusqu'à votre rencontre.
Puis les aventures avaient commencé. Comme toujours, c'était toi qui avais mené la danse. Les escapades sur la route 38, les parties de cache-cache dans la forêt aux feuillages mordorés qui entoure Rosalia, et qui vous donnait l'impression de vous être enfuies loin de tout. Tu l'avais guidée vers les pokémon, elle qui ne s'était jamais sentie très à l'aise avec eux. Toi, ils t'aimaient bien.
Il y avait eu les discussions, perchées dans un arbre, au cours desquelles elle t'avait avoué qu'elle ne voulait pas devenir une danseuse kimono comme sa mère. Qu'une fois les travaux de la Tour Cendrée achevés, son père devrait trouver un autre chantier, et qu'il n'y en avait plus dans les alentours. Qu'ils se disputaient parfois, pour décider s'ils resteraient ici ou pas. Qu'elle n'avait jamais rien connu d'autre que Rosalia, et qu'elle était partagée entre la crainte de s'en éloigner, et le désir découvrir ce vaste monde dont tu lui parlais sans cesse.
Et puis il y avait eu vos escapades dans la Tour en question. Ça avait commencé comme un jeu, une sorte de défi, un petit test de courage ; l'appel du risque et du défendu. La Tour Cendrée était en piteux état, et l'on vous interdisait généralement d'aller y jouer. Le plancher était vieillot, effondré à certains endroits. Des décombres barraient le chemin, bloquqant l'accès au reste de la Tour. Mais tu n'avais pas peur. Les superhéros n'ont jamais peur. Vous vous y étiez aventurées plusieurs fois, vous y preniez goût, tentiez de repérer les chemins, les poutres à escalader, pour explorer chaque fois un peu plus de l'ancien bâtiment. Ça avait bien failli mal se terminer, une ou deux fois, mais tu étais toujours là pour rattraper Sonoko, pour voler à sa rescousse. Tout comme tu avais voulu t'élancer au secours de ce pauvre evoli, qui s'était retrouvé coincé sous un tas de débris, malgré le danger.
Et tu étais partie.
Tu avais abandonné Sonoko.
Et de nouveau, il n'y avait plus que Faith. Faith et son evoli, qu'elle avait décidé de garder. Faith, fraîchement débarquée sur Mhyone. Faith qui, à peine installée à Méridian, annonçait à son père, qu'elle avait suivi jusqu'ici, qu'elle souhaitait débuter son propre voyage. C'était cette nouvelle application mobile qui lui avait donné le coup de pouce dont elle avait besoin : elle rejoindrait le Cercle de la Justice, et participerait à la construction d'un monde meilleur, au sein duquel elle espérait bien trouver sa place, comme ses parents avaient chacun trouvé la leur. Elle avait tant de choses à voir, et tant à donner.
Et elle n'oubliait pas.
Elle lui devait bien ça.