Un plan détonant [CAPTURE] 28/04

Je desserre le noeud de ma cravate, l'arrache de mon cou, la range dans mon sac de sport. Encore un peu et je m'étouffais. Je sue comme une porte de douche, essaye d'ouvrir toutes les fenêtres possibles pour invoquer un vent d'air frais, mais les seuls vents que je subis sont secs et brûlants. Une aventure sur les feux de la rampe.

Ce foutu Porygon m'a tendu la perche. Quelle idée d'avoir partagé la localisation du nid des Smogos en Mhyone ? Quelle idée d'avoir lancé l'application dans un but puéril d'agrandir mon équipe ? Et surtout : quelle idée de s'être installé dans un tel enfer ?

LEUR GAZ EST HAUTEMENT INFLAMMABLE, MERDE.

Une détonation retentit. J'accélère la marche, manque de trébucher et de m'éclater l'arcade sourcilière sur la roche volcanique. Je dégaine mon portable et mitraille le panorama. Avec un système de climatisation, l'endroit serait parfait pour y construire un QG révolutionnaire. Je suppose qu'une cabane dans un arbre vaut aussi le coup.

Je vérifie une énième fois si mes pokéballs n'ont pas fugué au devant de ces emmerdes. Un, deux, trois, quatre, cinq, six. Assez pour lapider la première cible venue. Et au vu de mon état, ne pas me baser sur la précision est primordial.

Courage, Troy. Ton plan requiert de grands sacrifices mais portera ses fruits. Espérons seulement qu'ils soient murs, et non viciés par la cendre.

HRP:

Et le numéro complémentaire est...

Un Magmar. Un putain de Magmar. L'autochtone lambda des volcans, le connard de base, le quidam innombrable. L'intelligence artificielle intégrée dans le Poryweb m'agite sous le nez son incroyable capacité à chauffer jusqu'à 1200°C, et sa personnalité pyromane l'empêchant de se calmer tant que son ennemi n'est pas réduit en cendres.

Non merci.

Je me glisse entre deux roches, pose ma main sur l'une d'entre elles et le regrette aussitôt. L'abominable homme de lave se promène dans une rivière de magma en fusion, se roule en boule, se prélasse, nage. J'en suis donc là. Avec l'opportunité de capturer – ou de déclencher la colère implacable – d'un lance-flammes humanoïde pouvant faire fondre de l'or. Ou n'importe quel être humain normalement constitué.

Je contourne son repaire, éponge la sueur dégoulinante de mon front, mes yeux, mon cou, mes bras. Cinq minutes. Je me donne encore cinq minutes pour trouver ce que je recherche, sinon... Sinon, je déguerpis de cet enfer pour retrouver le paradis de ma cuisine américaine. Au diable les stratégies alambiquées ; je suis déjà aux anges.

HRP:

Non. Ce n'est pas possible. Un Ponyta. Là, devant mes yeux. Je n'ai pas besoin d'écouter la tirade automatique du Porygon : je connais déjà celle-là par cœur.

Je me rappelle la pensée fugace à mon arrivée en Mhyone, en direction du Champ Mignon. John et moi avions essuyé le désastre d'un brunch végétarien cent pourcents naturel. Nos pieds brûlaient à cause de la marche. Six heures de supplice dans des mocassins. Je me rappelle ce qui m'est passé par la tête, ce jour-là. Un retour à notre enfance, les yeux dans les étoiles, l'inconscience dans les baskets.

À quand une monture ?

Et la voilà enfin, ce destrier incandescent. La créature ayant fait saliver un Tout Petit Troy en quête d'émerveillement, d'aventure et de liberté. Avec elle, sa Ponyta adorée, il pouvait quitter les rues et parcourir les routes. Adieu sa mère surendettée à cause de sa progéniture ; adieu le fantôme de son père, dont les médailles d'honneur soulignaient l'incompétence du fils ; adieu le sourire merveilleux de son frère, qu'il allait voir s'effacer au fil des embûches de madame la vie. Adieu, tout le monde.

Mais aucune Ponyta ne le sauva de sa condition de sous-homme.

Je me reprends, ferme ma bouche bée. L'incompréhension du cheval me fixe. Je déglutis, recule instinctivement. Il baisse la tête, renifle la nicotine qui m'imprègne.

Mon cheval. Le cheval de Troy.

Je souris.

Et sors une pokéball.

HRP:

La sphère reste dans ma main. Elle ne bouge pas. Ma première expérience face à Nidorina, encore plus tempétueuse qu'aujourd'hui, n'a rien eu à voir avec celle-ci. Peut-être que la véritable force d'un dresseur réside dans l'affection, après tout.

Bordel. J'ai craché autant de venin sur Red, aveuglé par la jalousie. Nous avions tout fait, John et moi. Tout. Quitte à ce que j'y laisse une partie de mon âme. Mais nous n'avions pas considéré un seul instant que le combat du héros de Kanto pouvait valoir autant, voire plus que le nôtre : donner de lui sans rien espérer en retour.

Je contemple la pokéball. Et l'ouvre pour admirer encore une fois la crinière étincelante de Ponyta. Elle hennit, lève ses pattes avant, gratte le sol de ses sabots. Je ne peux lui rendre qu'un étrange sourire niais, le cœur à vif.

— Dégageons de ce four, tu veux ? J'ai des amis à te présenter, mais ils ont catégoriquement refuser de crapahuter dans ce volcan. Une idée d'Ectoplasma, si tu veux mon avis. Il n'aime pas la lumière. Mais je suis sûr qu'il t'appréciera.

Je rebrousse chemin, direction l'atmosphère respirable de Mhyone. Ponyta me suit de près, calme, sans un mot. Ses flammes lèchent mes avant-bras sans me fustiger de leurs douloureux stigmates. Je prends une grande inspiration, en paix. Et profite du cadeau qu'un enfant perdu d'une ville perdue jurait d'avoir il y a vingt ans.

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