Vol à l'arraché [PV. Caoimhe O'Kelly] 20/04

Son hématome sautilla d’agacement. Elle ne détestait pas ce Troy O’Bowen, et dans d’autres situations, même s’il n’était, per se, son type, peut-être que … mais là, ce qu’elle voyait surtout, c’était qu’il avait les oreilles aussi bouchées que la plupart des hommes. Elle n’avait pas été assez claire : elle voulait dormir. Seule. Se reposer, digérer la soirée, ou la nuit plutôt. Profiter de quelques heures de sommeil avant de retourner le lendemain dans la rue. Peut-être qu’on lui avait déjà pris sa place au Centre et qu’elle dormirait dehors. Et lui voulait étirer indéfiniment la nuit, voulait la finir dans son lit, lui bavait dessus. Il commençait à les lui briser sérieusement. Si c’est l’alcool qui le rend comme ça, elle va le faire dessaouler vite ; ce n’était pas parce qu’il avait de très hypothétiques liens pour retrouver Jujube qu’il pouvait se permettre de la saouler.

Elle tenta de détendre l’atmosphère avec ce qui se voulait être un mot d’humour, bien qu’il fût un peu caustique. Et lui dérapa dessus.
Parce que tu as de quoi payer ? Je rajoute ça sur ton ardoise, Cocotine. Entre mes services de détective et ces deux consommations... Ouh. Tu vas devoir travailler pour moi. Ça tombe bien, on a toujours besoin d'une furie implacable.

Son visage s’étirait petit à petit, elle grinçait des dents et ses yeux jetaient des éclairs. Elle aurait voulu lui briser sa bière sur le crâne et lui enfoncer les éclats dans la gorge. Et ce n’était pas que l’alcool qui parlait là. Elle le regarda de la tête aux pieds, le saignant du regard, dans un silence complet et mordant. Elle sera le poing, s’enfonçant les ongles dans la paume. Sa gifle de plus tôt ne s’était pas assez imprimée dans la joue du pseudo-héros, elle le voyait maintenant. Un bon revers et ce serait réglé. Il tenta de rire, stupidement, pour se faire pardonner.

Tu t'es bien battue. Je n'ai jamais vue une femme aussi hargneuse. … Ça sonnait comme un compliment dans ma tête.
Ferme-là, cingla-t-elle. C’était encore ce qu’il avait de mieux à faire. Fermer son foutu clapet, la ramener au Centre, faire soigner son Pokémon et partir cuver dans son coin. Elle préféra sortir pour se calmer.

L’air frais et encore humide contre ses joues brûlantes lui fit le plus grand bien. Elle se massa le front en respirant avec attention l’air de la ville. Il devait être presque une heure et demie du matin, peut-être même plus. C’était l’heure où les couches-tôt revenaient de boîte. L’heure des nocturnes qui continuait de faire grouiller la ville. C’était juste moins populeux et plus sombre. Cette nuit encore, et comme depuis que Jujube avait disparu, cette atmosphère avait à nouveau quelque chose de dangereux. C’était soit rentrer seule, soit rentrer avec un mec qu’elle aurait peut-être à repousser d’un bon coup de genou. Encore.

Elle sortit son portable de sa poche, regarda le message de Jul’ en diagonale – Elle lui demandait simplement des explications sur les ennuis qu’elle comptait leur attirer cette fois – puis retourna sur le logiciel de navigation, repérant rapidement l’adresse de ‘’son’’ Centre Pokémon, choisissant un itinéraire plus long, mais plus pratiqué. Si elle avait été assez conne pour ne pas faire attention à ses affaires, se faire balader de traquenard en traquenard, elle ne l’était pas assez pour passer dans une ruelle sombre avec un gars alcoolisé qui – tiens, quand on parlait du Snubbull. Il revenait, et elle pouvait sentir ses sales yeux sur elle. Ce n’était vraiment pas son soir.

Je vous suis, ma chère guide. Conduisez-nous à bon port. Chop-chop !

Elle bâilla – merci son corps qui cherchait à la détendre et à lui faire perdre sa constitution – et avança sur le trottoir.

Par là. Rue Cerfrousse.

Elle le regarda partir, droite sur ses jambes, le regard dur. Elle lui trouait le dos d’un regard de tueuse. Elle gagnait, encore une fois. Elle se débrouillerait sans lui, elle retrouverait Jujube seule. Son bébé, son combat, sa victoire. L’Ectoplasma la fixe, l’air blasé, agacé.
Me regarde pas comme ça, toi, siffla-t-elle avant de repartir, n’adressant plus la parole au Pokémon, ne cherchant plus à combler les trous. Le bouder est encore le mieux qu’elle pouvait lui offrir. Mais il respectait son silence, l’ignorait aussi. Il lui laissait le temps de ruminer, de s’énerver seule, de se calmer, de respirer, de réfléchir. Pour autant qu’elle pût réfléchir au point où elle en était. C’est presque mécaniquement qu’elle arriva devant le Centre Pokémon. Elle se retourna vers son ombre éclairée par les néons du centre.

Voilà, c’est bon. Je suis vivante.

Elle regarda sa silhouette au sol, deux longues jambes et une tignasse mangeant le reste. Les deux reflets se regardaient durement.

Désolé que ton connard de maître te souffle tes Poffins. Qui sait, on se reverra peut-être. Allez, va. Pas envie que tu viennes me bouffer mes rêves.

Elle grimpa les dernières marches, laissa les portes automatiques s’ouvrir, salua l’infirmier de garde, et put enfin allez s’étaler sur un lit. Elle sentit la courbature tellement attendue la broyer de la nuque jusqu’aux tibias. Elle se retint de gémir et sortit en silence Lily de sa prison, la laissant se lover contre elle.