Envoyer une crapule traquer une crapule. Un retour aux sources plus que nécessaire.
J'ai quitté Médéa à pieds joints sans prendre la peine de me retourner. Orphée a déjà essuyé les conséquences d'une telle folie. Inutile de réécrire l'Histoire avec des analogies. Résultat : j'embrasse la pollution lumineuse de Nox Illum par nostalgie de celle de sa consœur d’outre-mer. De quoi éblouir les étoiles montantes du cinéma.
« On t'envoie sur le terrain, Troy. Vois ce que tu peux trouver sur cet indépendant. Pas la peine d'employer les grands moyens qu'on regretterait tous. On peut tous y gagner quelque chose dans cette affaire. D'autant qu'il a la main leste... »
Félicitations, Prüm. Vingt sur vingt. Passage en classe supérieure demandée.
Sur le papier, la nouvelle avait l'odeur d'un puits de chocolat inépuisable, une corne d'abondance diplômée par l'État avec mention diabète. Le genre de cadeau empoisonné qui te gangrène la bouche et l'estomac tout en satisfaisant ta satiété oculaire. « On peut tous y gagner quelque chose dans cette affaire. », dit-il d'un air convaincu. Va dire à un auto-entrepreneur de réduire sa marge pour que des parasites qu'il ne connait ni d'Eve ni d'Adam veulent s'intégrer à son commerce.
Mauvaise idée. Il ne se laissera pas faire. La cible n'est pas idiote à ce point. Personne ne l'est. Ce qui ne me laisse qu'une seule solution : employer les grands moyens.
Je pénètre l'aéroport de Nox Illum dans un halo de nicotine. Je zieute mon portable une énième fois, vérifie mes récentes notifications, vire mon mégot au sol et l'écrase de ma semelle. L'influence du voleur de pokéballs sévit dans les parages. Son réseau serpente de la route 5 à l'aéroport ; et de l'aéroport aux quatre coins du monde. Hélas, je dois me renseigner en personne. Foutue déformation professionnelle.
— Eh, petit.
Je hèle un adolescent passant là. Un jeune adulte, plutôt. Ou n'importe quelle formule politiquement correcte fidèle au garçon. Des cheveux mi-longs, chaotiques. Un sourire niais sur le visage, béat. Des yeux bleu lagon, angéliques. Monsieur Touriste en personne me faisant l'honneur d'empiéter sur mon terrain de chasse.
— Police de Nox Illum. J'ai des questions à te poser. Et surtout, un boulot à te proposer.
Color Code HTML:
Troy O'Bowen - #084B8A Manfred Prüm - #FF9933
Dernière édition par Troy O'Bowen le Lun 29 Mai 2017 - 2:17, édité 2 fois
Super, l'aéroport. Certains sont tellement pressés de partir qu'ils en oublient parfois leur déjeuner. La raison ? Les indications sont super mal foutues, et en plus, les agents de sécurité pressent à mort les touristes pour qu'ils ne soient pas en retard à leur porte d'embarquement. Du coup, comme la grande majorité de la population est prévoyante et emporte toujours un en-cas avant de prendre un vol, il n'y a qu'à se balader près du terminal pour trouver de quoi manger. Bon, côté fierté on a vu mieux, mais l'important c'est que ça soit emballé et pas périmé, nan ? C'est une bonne façon de faire marcher sa tête pour survivre dans la jungle urbaine.
Et voilà, hop. Un savane. Qu'est-ce qu'on disait ?
«Super ! Pamp, tu veux un bout ?»
«PIKA !»
Nath scinde le gâteau en deux. Il bite pas un mot de ce que raconte son Pikattardé : tout se passe dans le regard. Ok, c'est subtil et pas toujours évident à comprendre, mais le langage du corps est tout aussi communiquant que les mots, il suffit juste de s'y habituer. Et pour ça, Pamplemousse est un putain de génie.
Mais trêve de détente, visiblement. Est-ce qu'on l'arrête enfin pour avoir piqué le goûter de la pauvre Judith lors de sa deuxième année d'école primaire ? Miséricorde. Il était temps qu'il puisse purger ce pêche, ça lui pesait sur la conscience. Au point de ne plus en dormir la nuit.
Sauf que non, y'a finalement eu un mot magique à la fin.
«Du boulot ? Genre, du boulot payé ? Tout ce que vous voudrez, monsieur l'agent ! Je suis frais et dispo comme jamais. En réalité, vous n'auriez pas pu trouver meilleur coéquipier.» Il s'approche, gonflant le buste. «Alors, à quoi est-ce qu'on s'attaque ? Une histoire de mystérieuses disparitions ? Un meurtrier récidiviste ? UN GÉNIE DU MAL A METTRE SOUS LES VERROUS ?»
Ses yeux brillent, littéralement. Jouer au gardien de la paix, c'est ce qu'il y a de mieux. Avec jouer au ranger, bien évidemment, mais quand on est en pleine ville, on a plutôt tendance à taper dans le champ lexical du trottoir. Sans sens caché. Est-ce qu'il aura le droit à un Flingouste ? Ça serait trop cool.
Le papillon se pose sur la toile de l'araignée. L'ours se coince la patte dans le piège du trappeur. Le Pokémon se créé une place douillette au creux d'une sphère métallique.
— Calme-toi, l'ami. J'ai besoin de ta discrétion. De ton jeu d'acteur. Sais-tu mentir ? Jouer un rôle ? C'est facile, tu sais. Exemple : je ne vais rien te payer pour ce boulot.
Bingo. Je remonte mes gants en latex métaphorique, les fais claquer. La prochaine étape s'immisce dans mon fil de pensées comme un agent de sondage dans une réunion de Témoins d'Arceus : demander au garçon de se pencher et de tousser. Voici mon doctorat en truandage, mention homme politique véreux.
— Mais tu vises juste. Notre cible est un récidiviste, impliqué dans de trop nombreuses disparitions depuis le début de l'année. Il a fait un faux pas et nous a guidés jusqu'à lui. Et, partenaire, grâce à toi, nous allons le mettre sous les verrous. Car là est la seule place où ce déchet de l'humanité mérite de croupir. N'est-ce pas ? — PIKA ! — Merci.
Je dégaine mon portable, lance ma galerie d'images, ouvre un répertoire encrypté d'un mot de passe explosant les jauges de sécurité informatique rouge/orange/verte.
— Il a été aperçu il y a cinq jours, ici même, à l'aéroport de Nox Illum.
J'agrandis la silhouette des deux compères. Le voleur récidiviste, de dos, tend une mallette au débardeur du quai d'embarquement, au bonnet de pêcheur et au gilet de sécurité fluo. Un manutentionnaire profitant de l'invisibilité de sa caste aux yeux de la société pour tirer son épingle du jeu. Chapeau bas, l'artiste. Ou plutôt, bonnet bas.
— Et le voici sur son vélo en direction de la route 5, aux abords de Méridian. — PIKA ! — Ta mission, si tu l'acceptes, est d'entrer en contact avec les complices du voleur professionnel pour épaissir son casier judiciaire. Nous devons le connaître comme s'il était notre meilleur ami depuis vingt ans. Déteste-t-il les brocolis ? C'est certain. Mais l'inverse pourrait être une preuve irréfutable de la déficience de sa santé mentale.
Je range mon portable, enfonce mes mains dans mes poches, m'adosse au lampadaire planté là. Je lorgne l'horizon, inspecte les va-et-vient des civils entre chaque vol. Rien de suspect au plan macroscopique. Hélas, les virus se prélassent dans l'ordinaire.
— L'idéal serait de lui tomber dessus par surprise. Et pour qu'un tel scénario puisse arriver, il faudra arracher des réponses à notre adversaire sans livrer ton jeu. Confer le juste milieu entre la violence gratuite et le questionnaire à trous. — PIKA ! — ...
Quelque chose m'angoisse avec ce Pikachu. Je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. J'ai l'impression de l'avoir déjà vu quelque part, mais...
Non. Non, ce n'est pas possible.
Non.
— Tu ne me présentes pas ton compagnon ? Une amie proche détenait un Pikachu, elle aussi. Je crois me souvenir qu'il s'appelait Choupidou, avec ses petites pattes en... — PIKA ! — ... trèfle.
PUTAIN C'EST LUI. JE SUIS SÛR QUE C'EST LUI. C'EST UNE BLAGUE ? HUIT MOIS QUE JE M'EXILE DES RÉSEAUX SOCIAUX POUR NE PAS VOIR LA TRONCHE RETOUCHÉE DE KIMBERLEY ET JE TOMBE NEZ À NEZ AVEC SON PIKACHU ? VRAIMENT ?
«Mais en vrai, ça a pas l'air trop dur. Je veux dire, il faut juste gagner la confiance du type pour qu'il nous donne des informations ? C'est pas compliqué. Moi, en général, quand je vais vers les gens, ils ne tiennent pas dix minutes.» Nath dévoile un grand sourire, tout content de lui. «Je rigole, je chronomètre pas, mais en gros c'est pas loin. Héhé !»
Et puis il hoche la tête «Hm, hm.»
«Ça me va, monsieur l'agent ! Je vais faire de mon mieux. Par contre, j'ai le droit à un Flingouste ?» Il se met en position pistolet. «Comme ça, si le suspect tente de s'enfuir.. Pew-pew ! Dans les roses. Je suis le meilleur tireur de Mhyone, vous savez. Et je ne parle pas de tir à la corde.»
Nath se met à tourbillonner, tout heureux, et hébète par la même occasion son Pikachu qui tente malgré tout de le suivre du regard avec un air ahuri. Jusqu'à ce que le policier lui pose une question. Façon Pika. Le garçon s'arrête net, planté devant son nouveau coéquipier. Tiens, c'était sérieux ? Franchement, sa gueule s'est décomposée, mais grave. C'était quoi la question ? Si il a déjà perdu ses parents dans accident de Ponyta ?
«Quoi ?»
Ouah, l'atmosphère a changé, là.
«Euh, ça va, monsieur l'agent ? Vous tirez une sale tronche, quand même.»
Il penche la tête. Bon, tant pis.
«Hey, je crois que c'est le gars de la photo, là-bas.» Il prend un ton guttural, la main devant la bouche. «Je tente une approche de la cible. Restez en retrait avec Pamplemousse, terminé.»
«PIKA !»
Et Nath se met à trottiner vers le gars, sans pression. Jusqu'à ce qu'il ne remarque pas la valise par terre et qu'il s'étale juste devant lui. Toujours sans pression. Le mec, c'est de l'eau plate tellement il n'est pas gêné. Et pourtant, il s'est éclaté la tête sur le sol. Dix points pour Gr-.. Pour la discrétion. Au pire, il peut jouer là-dessus ?
«Outch, j'ai mal.. Je crois que je me suis cassé la valvule auriculo-ventriculaire droite.»
Les verrous de la valise du complice s'ouvrent sous la chute du gosse. Le débardeur bondit sur son attaché-case tel un soldat héroïque protégeant ses confrères d'un Voltorbe suicidaire. Il le referme avant que l'on puisse apercevoir l'éclat métallique de ses marchandises. Ou plutôt, d'après son futur lui en plein interrogatoire, de ses pokéballs personnelles. Rangées par lot de douze dans leur lit de mousse plastique.
— Putain, tu peux pas faire gaffe où tu mets les pieds ? Je vais te les foutre dans la gueule, tu vas voir ! Dégage de là, fissa ! Non mais oh, hein, c'est pas fini ce délire ?
Choupidou bis regarde en direction de son maître agressé. Dresseur néophyte que je suis, l'expression amorphe de son visage ne me donne aucun indice sur ses pensées. Est-il au moins capable de se représenter des images pour en faire une histoire ?
— PIKA !
Je passe ma main devant ses yeux. L'abomination se renferme dans sa transe, imperturbable. Je dégaine mon portable, active le mode caméra, verrouille la créature, la canarde de clichés pour l'immortaliser sous toutes les coutures.
Le Pikachu n'a pas quitté son maître des yeux. Toujours le même air hagard. Un filet de bave coule le long de ses babines, car son cerveau en bouillie essaye de traiter le flux de données venant de la scène. Oh, mon maître s'est fait un ami ! doit-il se dire en un français bien trop correct. Je vais les laisser s'amuser tous les deux.
— PIKA !
Pika, en effet.
Compliqué, cette langue primitive.
J'accède aux photos d'un revers de pouce vers la gauche. Choupidou me regarde avec des grands yeux pétillants, une bouche en cul de poule comme figure de proue. Je ne me souviens pas l'avoir vu bouger pendant ma salve de paparazzi, pourtant. Je zieute la deuxième photo : même chose. Clin d’œil, duckface. Puis la troisième photo. Posture de profil, duckface. La quatrième. Sourire niais, duckface. Et la cinquième...
Que. Se. Passe. Putain. De t-il.
J'ai dû rêver.
— Ah, bah, si c'est pour demander un coup de main, je suis ton homme. Tu m'as dit avoir de la famille où, déjà ? C'est vrai qu'avec toutes ces taxes, y'a pas moyen d'envoyer du lait d'Écrémeuh à son cousin sans que la douane ne frappe au carreau... Heureusement que des honnêtes gens se démènent pour trouver des alternatives.
Félicitations, gamin. À moi de profiter de la diversion, maintenant. Objectif : fouiller la valise et les caisses de marchandises du passeur. Mais c'est mission impossible avec ce Pikachu attardé. Il lui faut une laisse, un être vivant de compagnie. Par chance, j'ai plus d'une pokéball dans ma veste. Nidorina, ma grande, tu entres en scène.
Ok. Work in progress. Le Magicarpe a mordu à l'hameçon, terminé. Bon, Nath se demande comment il a réussi à l'amadouer jusqu'ici : il a connu mieux comme entrée en scène, genre vraiment mieux, et puis le gars s'est énervé pour protéger la marchandise. Bref, il a dû calmer le jeu, mais rien d'insurmontable pour quelqu'un comme lui. Le plus important, c'est de continuer dans sa super lancée pour se mettre Jean-Michel dans la poche.
La première étape, c'est de l'attendrir.
«De Sinnoh, à Féli-Cité. Tu vois où c'est ? C'est super joli, et tout le temps animé. Mais bon, autant dire qu'on nage pas dans les pokédollars, et ça s'arrange pas avec l'actualité de Mhyone, le durcissement des barrières douanières, et caetera..» Il prend un air un peu mélancolique. Toujours bon pour jouer un rôle. «Mais si il y a des gens comme ça, j'aimerais bien les rencontrer. On est un peu coincés en ce moment, c'est dur de finir les mois, pour eux comme pour moi, donc si je pouvais alléger toute cette peine..» Il pousse un long soupir. «Ça serait formidable.»
La deuxième, c'est de le pousser à se mettre en valeur. Pour que les gens s'ouvrent, il faut s'ouvrir à eux : c'est aussi simple que dire Alola.
«Et toi, Jean-Michel, tu arrives à t'en sortir ? Ça a pas l'air facile tous les jours pour toi non plus.»
Vas-y Jean-Mi, tape dans le fond, fous-toi à poil et raconte ta vie jusqu'au moindre détail. Impossible de résister à l'air attachant de Nath, pas vrai ? Cette petite bouille mi-désespérée mi-kawaii qui t'arrache ton âme à grands coups de sourires. Mais c'est pas grave, il faut se laisser aller, car à la fin, la toute fin, c'est toujours lui qui gagne.
J'abandonne Nidorina dans les bras du rêveur zébré de jaune et de noir. Une petite larme du coin de son œil me salue avant que je me retourne. Ton sacrifice ne sera pas vain, ma belle. Occupe-toi de lui comme d'un nouveau-né bercé trop près du mur.
— Bah, tu sais, moi, j'fais ci, j'fais ça. Je baroude. Pis je pousse des caisses quand mon patron me dit de pousser des caisses. Tu vois le genre. Un salaire fixe pour nourrir les gosses, des amis de circonstance pour faire croire qu'on a une vie passionnante, et tout le tatouin. Mais on croise pas mal de gens, dans ce boulot...
J'avance à travers la foule, les mains dans les poches. Les uns s'écartent ; les autres cognent mon épaule sans gêne ni excuse. Une fourmilière en ébullition où chaque soldat se hâte de reprendre le cours de leur train-train quotidien. Drôle de mœurs à appliquer dans un aéroport. Lol.
Je lance mon application « post-it » et y colle ma trouvaille.
— Ah, bah, c'est sûr que ces salauds de douaniers nous volent notre argent. Certain. Mais bon, de quoi est-ce qu'on parle, là, au juste ? D'une meule de fromage, ou... ?
Il se confie au gamin à voix basse. Ses lèvres bougent mais je ne capte aucune syllabe audible. Je me rapproche, les yeux greffés sur l'écran de mon portable.
— ... pour la prise de risque. Trois fois rien. Une toute petite marge, comparé aux vampires de la frontière. Tu sais, moi, je suis pas là pour t'escroquer. Je suis l'ami de tout le monde ici. Et te voir dans une telle merdouille, mon ami, ça me fait de la peine.
La mallette du contrebandier me fait de l’œil. J'attends dans le dos de la cible en plein business, prêt à bondir au nom de la police de Mhyone. Par pur acquis de conscience.
«Ouah..» Il hoche vivement la tête. «Y'a pas photo, tu me sauves la vie.»
Yay, l'agent est dans la place, il faut continuer la diversion. Bon, le but, c'est qu'il se retourne pas, hein ? Très bien, il a juste à lui montrer la marchandise et le moyen de paiement. De toute façon, tant qu'il est concentré sur ce qu'il lui montre, et que c'est assez intéressant pour avoir toute son attention, c'est bon, non ? Ok, super, bah il va lui en faire voir, alors. Nath pose son sac par terre et commence à fouiller dedans : il jette un œil tout autour de lui, comme ça l'autre n'a pas à le faire, puis lui donne signe de se rapprocher.
Tout en finesse. Il baisse d'un ton.
«Alors, y'a un t-shirt traditionnel de Mirabèce..» Il se rapproche à portée de murmure. «C'est fait par les meilleurs artisans de l'île, et ça coûte vraiment cher, mais comme ma famille vit de la couture et qu'on sait faire que ça, j'aimerais qu'ils puissent en revendre à Sinnoh.»
Bon, c'est pas faux, mais c'est pas vrai non plus : c'est pas sa famille qui l'a fait, c'est la mémé d'à côté, mais par contre c'est vraiment un t-shirt traditionnel de Port-Mirage. Avec les coutures bizarres, les coloris et tout qui vont avec. Ça doit avoir l'air assez authentique comme ça, hein ? En plus, il a une écharpe du même style.
«Et l'écharpe, pareil. Sinon, c'est des superballs. Ça ira ?» Nath se décale un peu. «Vas-y, jette un coup d’œil. Ça va me coûter combien ?»
Il regarde brièvement le policier. Bah allez, poto, là t'as le champ libre pour lui voler ses culottes. Tu peux même prendre la valise si tu veux, il remarquera rien.
Le complice se penche vers le sac du blondinet, me présentant une raie de plombier exemplaire. Voilà qu'il me met déjà des bâtons dans les roues pour lui subtiliser ses « biens ». Aux dernières nouvelles, une ceinture ne vaut pas un crédit de trente ans à taux zéro cinq pourcents. Et son hobby de contrebandier devrait lui permettre de contribuer ainsi au bien de la société.
— Superveilleux t-shirt, je te le fais pas dire. Ça coûte vraiment aussi cher ? Eh bah mon neveu ! Ça tombe bien que je ne sois pas un type branché de la mode comme ceux qui se balade dans les bars tard le soir. Ouais, bon, je les aime pas trop.
Il se relève, pose ses mains sur sa taille, dodeline légèrement de la tête. Le gosse a déclenché le discours frauduleux du débardeur, rôdé tous les jours devant le miroir.
Je range mon portable. Ôte une pokéball miniaturisée de ma poche de costume. La fais grandir dans le creux de ma paume. Me prépare à libérer la bête.
— Tu sais quoi ? Je te fais confiance sur la marchandise. C'est toi l'expert. Mais bon... Si je perds ce haut, je vais m'en vouloir toute ma vie. Mais je peux pas me permettre, non plus, de le ranger avec les autres marchandises, qui pourraient être volées par clochard du coin. Nan, ça serait pas du tout précautionnable. Précautionneux ? Pas du tout sûr. Faut que tu me laisses employer les grands moyens. Bagage à main, passage dans les bureaux, pas de détecteur. Bon, après, ok, c'est sûr, va falloir claquer un petit billet en plus. Mais ce merveillable t-shirt ? Il en vaut carrément le coup.
Un pas. Trois pas. Dix pas.
Plus qu'un mètre.
— Je prends pas les superballs par contre. Vu que tu m'es sympathique, je vais quand même t'expliquer le deal : j'ai un « ami » qui envoie ses pokéballs comme des cartes postales à sa « famille », et il me paie un petit rab pour que ses cadeaux soient les seuls sur le marché. Désolé, hein. Après... Bon. Je vais paraître un peu déshonnoreux, mais je tiens à notre amitié. Alors, si tu peux me couvrir au cas où ça se sait et qu'il me coupe les vivres, ça serait vraiment, vraiment, mais alors vraiment cool.
Je me penche vers sa mallette, retient ma respiration, hésite entre deux fils à couper : vérifier la marchandise et partir sans causer de tort en cas de mauvaise nouvelle ; ou récupérer l'attaché-case et réfléchir aux détails le lendemain.
Je lance intérieurement une pièce.
Pile.
— Alors, t'en penses quoi ?
J'ouvre le coffre aux trésors.
Un caleçon, des chemises, un nécessaire de rasage, des chaussettes, un pantalon à pinces, du déodorant. Pas de pokéballs. Pas de denrées rares. Pas de preuves. Pas de récompense immédiate. Pas de rebord sur lequel rebondir. Rien.
Je pose ma pokéball gelée contre la nuque du contrebandier.
— J'en pense que tu es sur le bon chemin pour tout nous avouer.
Color Code HTML:
Passeur de l'aéroport - #8904B1 Troy O'Bowen - #084B8A
Et là, irruption du coéquipier. Boum, c'est dans la poche ! Position magasin, le mec n'a plus aucune échappatoire. Eh oui, tout ceci n'était qu'une vaste mascarade pour le mettre échec, et comme il a baissé sa garde, il est tombé dans le piège ! La team Anima n'a qu'à bien se tenir, parce que côté stratégie, là ils ont fais fort.
Nath prend la pose, majestueux. Ça y est, il peut jouer son rôle : la couverture est terminée, c'est l'heure de faire placer à l'agent secret Miller. Il met son doigt en avant, façon pistolet, et regarde le méchant droit dans les yeux.
«Désolé, Jean-Michel, mais tu es en.. état d'arrestation.»
«Tu m'as dupé !»
Il hoche la tête, toujours aussi professionnel. Eh oui, garçon, certains ont du talent, d'autres n'en ont pas. C'est ça, la dure loi de la jungle : mais quoi qu'il en soit, est-ce une bonne raison pour défier la loi ? Si le capitaliste est en place, c'est pour une bonne raison, et tant que les gouvernements ne seront pas tombés, il faudra le protéger. Pour la paix dans le monde.
Nath se racle la gorge. Il répond d'une voix rauque.
«Oui, Jean-Michel. Et maintenant, il va falloir se mettre à table.»
«Jamais, putain !» Il se dégage et détale vers la sorte, abandonnant sa mallette. «VOUS M'AUREZ JAMAIS !»
«Euh, euh, euh, euh..» Le garçon regarde Troy, un peu pris de court. Bah, tant pis ! «Pamp ! Lance..» Merde, il a oublié le nom de l'attaque. «Bref, t'as compris ! JE VEUX QU'IL S'ARRÊTE !»
Les yeux du Pikachu s'illuminent. Un éclair de lucidité (lol) et il détale en direction du fuyard sur ses quatre petites pattes. Sauf que là, c'est un peu overreact, parce que le pokémon électrique lui claque une attaque Charge doublée d'un Coup d'Jus plus un Frotte-Frimousse qui inculquent à l'homme la véritable essence de la position latérale de sécurité.
Oups.
Nath s'approche, un peu gêné. Il regarde le policier.
Cage-éclair. L'attaque à utiliser était cage-éclair. Basique. Apprise relativement tôt. Utile pour neutraliser l'ennemi. Idéale pour les agents de l'ordre. Simple. Efficace. Inoffensive, même. Et peu coûteuse en énergie. Un outil parfait pour cette situation.
Mais la logique ne s'applique pas à Choupidou.
— Euuuuuuuuuh...
Je cherche une porte de sortie mais ne trouve que le regard consterné de Nidorina. Oui, même un Pokémon juge le comportement de son attardé de confrère. Oui.
Le gosse me demande quoi faire.
Quoi faire.
Que faire, en effet ?
— LA JUSTICE NOUS APPELLE SUR LA ROUTE 5 !
Et à la justice je vais répondre, prenant mes jambes à mon cou. J'absorbe la nourrice venimeuse de Pikachu dans sa pokéball et continue ma fuite. L'application des talents d'un policier hors pair n'ayant pas envie de patauger dans une merde sans nom.
Une avenue, une rue, une ruelle. Je fuis la lumière du soleil dans l'ombre des gratte-ciels et dégaine mon portable pour potentiellement sauver la vie d'un « innocent ». Car la présomption d'innocence protège les crapules officieuses derrière l'égide de la « justice ». Oui, il est parfois nécessaire de soulager ainsi sa conscience.
— Un travailleur a été foudroyé sur le quai d'embarquement, près de l'aire Hirondelle. Il a besoin d'aide, c'est urgent.
Je raccroche au nez du responsable accueil de l'aéroport. Ils ne pourront pas pister mon numéro inconnu. Je me suis dépêtré de bien trop d'embûches pour le savoir.
Plan B. Je me retourne vers le gosse et fais une croix sur le sérieux de ma mission.
— Tu vas devoir me suivre si tu veux rester en liberté, blondinet.
Trop tard. C'est la débandade, l'apocalypse. En gros, c'est le moment de prendre ses jambes à son cou, son cou à ses jambes, tout prendre, tout rembobiner, et partir pour une autre galaxie parce que là on est presque dans le champ lexical du crime. Presque, parce qu'il n'a pas vérifié son pouls, mais étant donné la façon dont Pamplemousse a bolossé Jean-Michel, sérieux, les pronostics sont pas très engageants.
PIKA C'EST LA MERDE.
Bon, il attrape l'assassin dans ses bras et tape un sprint. Les deux complices se plantent dans une ruelle peu fréquentée, histoire de ne pas trop se mettre en valeur. C'est bon, tout s'est passé très vite, non ? Ce n'est pas comme s'ils allaient partir à leur recherche. Ou du moins, pas trop loin. Mais est-ce que Mhyone sera assez grande pour qu'ils puissent se cacher ? Devra-t-il partager sa couche avec le faux agent pour survivre ?
Putain, qu'il est con ce Pikachu sérieux.
«Pamp, excuse-toi, t'as vraiment foiré.»
«PIKA !»
«Merci.» Il regarde l'homme. «Bon, vous êtes qui, vous ? On est un peu mal, là, mais c'est pas non plus votre faute. Par contre, c'est pas très la police de se casser en trombe comme ça. Vous êtes une sorte d'agent de secret ?»
Qui suis-je ? Un ange gardien. Un justicier masqué. Le héros venant en aide aux opprimés. Monsieur bonnes actions. Un connard en plein business criminel.
— Je suis détective privé. Je travaille pour un riche client dont la production de pokéballs a été saboté il y a peu. Ayant remonté la piste jusqu'à ma cible, j'ai pu accumuler des photographies compromettantes. Mais ce n'est pas assez pour le mettre sous verrou. Il me faut des preuves physiques, tangibles ; et pourquoi pas le prendre la main dans le sac. Dommage que son complice n'avait rien de sale sur lui.
Mis à part ses caleçons.
Je sors ma tête de la ruelle, regarde de gauche à droite, tend l'oreille pour capter les sirènes de police. Par chance, aucune unité mobile de tente de nous happer vers les prisons de Nox Illum. Et l'analogie est parfaite vu l'odeur de sel de ces geôles.
— C'est pourquoi nous devons rejoindre la route 5. L'homme se cache dans les fourrés pour surprendre ses victimes et leur voler leurs pokéballs. Pour mettre du beurre dans ses épinards. Car le cambriolage d’entrepôt ne paie pas assez cher, parait-il.
Je brandis ma dixième clope de la journée dans un tour de passe-passe et l'allume.
— Tu as un moyen de locomotion pour t'y rendre ? N'importe lequel fera l'affaire.
Color Code HTML:
Troy O'Bowen - #084B8A
Dernière édition par Troy O'Bowen le Dim 18 Juin 2017 - 16:57, édité 1 fois
«Ah, ok. C'est pas mal aussi, remarque !» Il regarde par-delà la rue. «J'ai mon vélo, il est garé pas loin, mais bon..» Le garçon le dévisage. «Vous êtes un peu trop ép-.. grand, quoi.»
Le politiquement correct.
«M'enfin, si vous vous accrochez suffisamment à moi, ça devrait aller. Je crois.»
Il fait un signe de main.
«Bon, on verra bien. Venez !»
Tel un Chacripan, le détecteur Miller se faufile entre les ruelles et parvient au parking à vélo. Aucune chance de le rater : il est totalement tuné en rouge et noir avec des flammes partout, et pour sa défense, c'est pas lui qui a choisi la déco. Lol. Non, c'est le goût avant-garagiste de la racaille du sud, qui encore à cette heure doit pleurer la perte de son outil de destruction massive.
Pff, reprendre c'est voler de toute façon.
Nath décroche la bicyclette et tend les bras.
«Voici le Dullahan, le vélo le plus rapide de Mhyone.»
Il enfourche la bête. Au même moment, le Pikattardé grimpe tant bien que mal jusqu'à son panier, utilisant ses petites pattes pour s'accrocher aux moindres prises, au moindre espoir, comme s'il était en train d'escalader le mont Hokulani. Il est trop con pour sauter, celui-la ? Et trop concentré pour lâcher un P-..
«PIKA !»
Impressionnant. Mais Nathaniel n'est pas homme à se laisser abattre. Il lance un regard de braise à son acolyte.
«Hahaha c'est parti. Je vous dépose où, señorita ?»
Je grimpe sur le véhicule privé du blondinet. Un taxi flambant neuf, littéralement, à en faire pâlir les pousse-pousse de Johto. Je cale mes fesses sur un bout de selle, impose une distance minimale de sécurité entre mon entrejambes et celui du chauffeur, et m'agrippe à l'armature en métal pour ne pas m'écrouler en arrière.
— Chop-chop. Direction la Grotte du Passage.
Et nous partons à la vitesse de la lumière. Celle des feux tricolores qui, même si ils nous éclairent d'un boulevard de lueurs vertes, me donnent l'impression de nous arrêter à chaque carrefour. Le trafic nargue notre duo en passant de la première à la troisième vitesse, crachant des colonnes de pollution dans leur sillage.
— Je connais un gîte sur la route. Le « Champ Mignon ». Si nous tardons trop, je te paierai le lit et un repas chaud. Ça te récompensera de tes coups de pédale.
Et je lui tapote l'épaule pour sceller notre marché.
* * *
Deux heures de vélo sur une route de campagne. Mes fesses hurlent à la mort. Je prétexte de devoir passer un coup de fil à quelqu'un pour nous arrêter sur le bas-côté.
Dix-sept heures.
La route 5 nous dévoile son panorama sous son plus simple appareil. Un tableau peint d'un coup de pinceau magistral, intemporel. Pas un Pokémon pour déranger l'illusion d'un arrêt de la grande horloge. Une faille de la quatrième dimension. Le calme plat.
J'agite mes jambes, oblige mon sang à se réveiller pour irriguer ces bons vieux membres auxquels je tiens. Et agite aléatoirement mes doigts sur l'écran de mon portable pour broder un tissu de mensonge avec le fil que je viens de créer.
— Tu tiens la route, blondinet ? Ce qui me fait penser que nous ne nous sommes pas encore présentés. Tu peux m'appeler O'Bowen. Ou monsieur, si le cœur t'en dit.
Color Code HTML:
Troy O'Bowen - #084B8A
Dernière édition par Troy O'Bowen le Mar 25 Avr 2017 - 23:26, édité 1 fois