Les vrombissements des voitures, la pagaille dans les rues, les cris des enfants, le bruit des chantiers, tous ses sons faisaient étouffer la jeune fille.
Elle était assise sur le rebord de son lit à contempler le vide. Ça y est, elle craquait.
Marre de la ville, marre de cette maladie.
Marre de la vie.
Agathe pleurait.
Ses cheveux désormais gris et court, collaient sur son visage ruisselant de perles cristallines.
Son cœur se serrait, sa gorge se nouait, ses yeux se fermaient.
Comment oublier ? Comment sourire après ça ?
Il fallait l'expliquer.
Mais sa voix restait muette, telle une sirène abandonnée par son marin, qui ne savait même plus chanter son propre nom.
Le pronostic avait été très clair, cette fois, sa vue ne reviendrait pas avant plusieurs mois.
Agathe balaya de ses yeux noisettes mais vides de sens, la pièce qu'elle ne pouvait plus voir.
Elle avait toujours vécu dans cette maison, à Illumis, la plus grande ville de la région de Kalos.
Elle tâtait son drap de ses mains jusqu'à tomber sur l’objet qu'elle cherchait : son appareil photo.
Au contact de la matière, une vague de souvenir très net envahi la jeune fille et ses yeux se fermèrent le temps d'une fraction de seconde qui lui parût une éternité.
*****
La première fois que j'ai touché à un appareil photo, je devais avoir huit ans à peine.
J'étais une enfant très créative et insouciante qui rêvait d'aventure. J'adorais contempler les paysages lors de mes voyages en dehors d'Illumis. Mes parents ont vite compris que je n'aimais pas la ville, cette sensation de renfermée et de pollution me donnait la nausée, pourtant, je n'ai jamais déménagé, mon père tenant bien trop à son métier.
Alors, ils m'emmenaient souvent dans les villes voisines, comme Romans sous-Bois, Port Tempères ou même parfois, pendant les longs week-ends ou les vacances, Relifac-le-Haut, afin de faire un petit tour près de la mer. Autant dire que j'avais avait pris l'habitude d'explorer de nouveaux horizons.
Et depuis le jour où j'ai appuyé pour la première fois sur le déclencheur, je n'ai jamais quitté mon précieux appareil photo.
Je prenais tout ce que je voyais, aussi bien les pokémon que les paysages ou les personnes, et bien vite, c'est une passion qui s'est développée. J'étais une enfant très sociable et je m'entendais avec beaucoup d'autres gamins de mon âge. Ainsi, au collège, j'ai débuté mes premiers " shooting photo " . Je proposais à mes amis et à leurs pokémon, pour ceux qui en possédaient, de se retrouver en ville pour des séances. Je ne leur demandait jamais rien en échange et d’ailleurs, je ne le désirais pas, ce n'était que pour le plaisir. De toute manière, à part sur les réseaux sociaux, mes photos n'étaient pas partagées. Je ne tenais pas non plus à devenir célèbre.
Mais bien vite, cette passion s'est transformé en une envie de métier.
Ma mère semblait très fière de moi, tandis que mon père restait très peu ouvert sur cette idée, avec pour prétexte que photographe n'était pas un vrai métier, et que, si je voulais pouvoir me débrouiller dans la vie, il fallait plutôt que je fasse un travail dans la politique, comme lui.
Je me suis emportée, lui disant des choses que j'ai toujours regrettées par la suite, d'autant plus que j'ai n'est jamais pu me faire pardonner.
Puis je suis sorti de la maison en courant, mon appareil photo autour du cou, mes cheveux d'antan, si beaux et si vivants, fouettant mon visage.
J'ai couru dans la rue, dans cette ville qui avait bercé mon enfance et que je connaissais comme ma poche.
Il était tard mais je n'avais aucune envie de rentrer. Pourtant je savais très bien qu'une gamine de quinze ans, seule, n'était pas à sa place dans le monde de la nuit, surtout dans les rues.
Je croisais des gens, tout en train de gueuler, bourrer. Ils me sifflaient et me dévisageaient des pieds à la tête.
C'était la première fois que j'étais confronté à cette situation.
La nuit, mes parents avaient toujours refusé que je sorte, et je comprenais enfin pourquoi.
J'étais dans une impasse : chez moi, mes parents allaient me gronder et sûrement me priver de sortie, donc de shooting photo, comme si la ville ne m’octroyait pas assez pour qu'en plus je sois forcé à passer mes journées dans un immeuble à regarder les autres s'amuser.
Et ici, dans les rues, j’avais peur.
Et pourtant, je choisis de rester.
Mais si j'avais su, si j'avais su que ce choix allait tout bouleverser.
Erreur stupide qui, en plus, coûtera des vies.
J'étais assise à son chevet, je chuchotais des mots doux, en expliquant que j'étais désolé, que tout était ma faute.
Mais il ne pouvait pas m'entendre, plongé dans un grand sommeil, le coma.
Et pire encore, c'était mon père. Et par ma faute.
La nuit où j'ai fui, il est parti à ma recherche. Sûrement que la rage et la peur l'ont aveuglé, tellement qu'il n'en a pas vu la voiture arrivée.
Le choc était désormais inévitable, et il fut si violent que le couple et ses enfants dans l'autre voiture ne purent survivre à l'accident.
Mon père fut projeté contre la vitre ; coup du lapin.
Et par miracle, il n'est pas mort sur le coup, bien que sa vie ne tienne plus qu'à un fil, j'en étais plus que consciente.
*****
Agathe renifla et se mordit les lèvres, ravalant les larmes qui s’apprêtaient de nouveau à couler.
Que c'était dur de repenser à tout cela. Et le pire était sûrement de se dire que ce n'était qu'une toute petite partie de sa vie et que le plus terrible restait à venir.
Ses souvenirs allaient la ramener aux premiers jours où elle perdue sa vue.
*****
Vêtue de noire, je ne pouvais m’empêcher de laisser rouler sur mes joues des larmes chaudes de culpabilité et de haine envers moi-même.
À la première ligne, devant la tombe, ma mère et moi, ainsi que mes grands-parents paternels.
Un espace me séparait de ma mère. : depuis que mon père était mort, il y a quelques jours, aucune d'entre nous ne s'était adressées la parole ou même un regard.
Nous fixâmes nos pieds, la gorge nouée, la boule au ventre, le cœur en mille morceaux.
L'enterrement sembla durer des jours alors qu'il ne dura que quelques heures, à chaque discours que faisaient les membres de la famille, je sentais la culpabilité monter en moi ;
et lorsque mon tour vint de faire un discours, les mots restèrent premièrement coincé dans ma gorge. Après quelques secondes, je réussis enfin à parler :
-J'aurais voulu qu'on se quitte autrement.Cette fois, un torrent d'émotions monta en moi et j’éclatai en sanglots.
Ma mère se précipita pour me prendre dans ses bras.
Depuis que mon père était tombé dans le coma, il y a un mois, nous ne nous étions plus fait de câlins, alors, que ça faisait du bien.
Elle me chuchotait à l'oreille des mots pour me rassurer mais je n'arrivais plus à reprendre le contrôle de mes émotions. Et dire que nous nous étions séparée en se disputant, et dire que je n'ai jamais eu le temps de lui dire adieu, à part pendant ce mois si compliqué où il était plongé dans un sommeil entre la vie et la mort et qu'il ne pouvait ni m'entendre, ni me voir..., ni me répondre.
Deux longues années s'écoulèrent. Ma mère ne souriait plus de la même façon, son visage semblait plus vide, moins vivant, ses gestes moins lestes, moins féminins.
Mais peut-être que ce n'était que moi, qui en ayant perdu une partie de moi-même, voyait le monde en noir.
Et qui aurait cru que cette expression se révélerait vraie, lorsque à mes 16 ans, j'appris que j'étais touché d'une terrible maladie ?
Peu à peu, elle grignotait ma vie en me rendant la santé très fragile. Le médecin avait même dit qu'elle pourrait aller jusqu'à me faire perdre l'usage de mes membres, temporairement ou...définitivement.
À commencer par mes cheveux, qui aujourd'hui, ont perdu tous teints jusqu'à devenir gris.
Puis, il y a eu ma vue, pendant quelques secondes, ou même quelques minutes, elle se brouillait puis revenait.
Mais cette fois, elle ne reviendra pas, pas avant de longs mois.
Depuis, je ne prenais plus vraiment le goût à la vie, je ne mangeais que très peu, je préférais rester enfermée des heures, à attendre.
Mais je crois bien que le pire, fut lorsque je pris conscience que cette maladie allait faire écrouler mon rêve : celui de devenir photographe.
*****
Agathe reprit ses esprits. Elle n'avait que 17 ans, sa vie continuait toujours, bien qu'elle soit semée d’embûches.
Mais une chose était sûre, dès que sa vue reviendrait, elle partirait de cette ville, elle irait faire sa propre vie, et elle acceptait peut-être enfin sa maladie, ainsi que la mort de son père.
Elle avait seulement besoin de voir autre chose qu'Illumis et le noir.
Les mois défilèrent lentement. La jeune fille avait coupé ses cheveux, à quoi cela pouvait bien servir d'avoir une si longue chevelure si elle ne pouvait plus la contempler. D'autant plus qu'elle avait toujours du mal à s'habituer à cette couleur grise, bien qu'elle ne puisse pas vraiment la voir.
Elle se sentait souvent faible, sûrement à cause du fait qu'elle ne mangeait très peu.
Mais un jour, sa vue revint.
Cela lui fit un tel choc qu'elle tomba dans les pommes pendant un bon quart d'heure.
Quand, elle se réveilla, il lui fallut beaucoup de temps avant de se réhabituer.
Et la première chose qu'elle fit, ce fut de monter dans sa chambre et fouiller les placards jusqu'à retrouver son appareil photo.
Il était toujours là, il n'avait pas bougé.
Son premier réflexe fut de regarder ses anciennes photos : qu'ils étaient bons de revenir dans un passé joyeux.
Quand soudain, elle constata avec horreur que toutes les photos étaient en noir et blanc.
Elle se rassura une fraction de seconde en se disant que c'était sûrement l’appareil qui avait du mal à redémarrer, puis elle balaya sa chambre du regard.
Il n'y avait aucune touche de couleur, seulement du noir, du blanc, et du gris.
Et elle n'eut pas besoin de médecin où que ce soit pour lui faire comprendre, que cette fois, cela ne durerait pas quelques mois, mais toute une vie.
Et le jour de ses 18 ans, lorsque sa mère lui demanda ce qu'elle souhaita comme cadeau, elle répondit :
-Je veux vivre.-Comment ça ? avait demandé sa mère, perplexe.
-Je veux quitter Kalos, j'ai besoin de..., elle réfléchit quelques secondes,
de découvrir de nouveau monde ! Je ne supporte plus la ville et de bien trop mauvais souvenir me hantent chaque soir ici. Et avant toute chose, je veux réaliser mon rêve, celui d'être photographe..., elle marqua une pause, pour laisser le temps à sa mère de digérer,
malgré ma vue. Elle eut un faible sourire.
-Tu comprends ? demanda Agathe.
Sa mère réfléchit puis sourit en hochant la tête.
-Bien sûre que oui, je comprends. Mais, une seule question, où vas-tu aller ?-Je ne sais pas, je prendrais le premier avion. Papa avait de la famille un peu partout dans toutes les régions, alors je trouverais bien un moyen pour me débrouiller.La femme la fixa longuement :
-Comme je suis fière de toi, ma fille. Agathe se jeta dans ses bras.
-Merci maman... Je t'aime. -Moi aussi je t'aime...Et le lendemain, elle prit le ferry pour la région d'Unys pour aller jusqu'à l'aéroport de Parsemille, ne sachant toujours pas dans quelle aventure elle s'embarquait.
Sa mère l'avait accompagnée, et remettait en place les vêtements de sa fille. Elle essuya du bout des doigts une petite tâche sur la joue d'Agathe.
-Arrête maman, fit cette dernière en riant.
Je suis grande maintenant ! -Oui, je sais... Bon, tu es prête ? -Oui... Tu vas me manquer. -Toi aussi.Une larme scintilla au coin de l’œil de la femme et la jeune adulte la prit dans ses bras :
-Tu viendras me voir de temps en temps, hein ? Je t’enverrais des lettres pour te dire où est-ce que je suis aller ! Il faut que j'y aille maintenant.-C'est ça, c'est ça ! N'oublies pas ta vieille maman, hein ?
-Promis !Et deux jours plus tard, la voilà dans l'avion direction de l'île Mhyone, archipel dont elle avait vaguement entendu parler mais qu'elle ne connaissait pas du tout.
Heureusement, une cousine de son père âgée d'une trentaine d'années s'était proposé de l’accueillir chez elle, dans la ville de bord-auvent, dès que sa petite-cousine avait annoncé qu'elle recherchait quelqu'un pour se loger.
Eilenn, la cousine de son père, vivait seule dans une petite maison à l'architecture très originale comparée à l’ancien appartement de la fille aux cheveux gris. Elle était très gentille et accueillie Agathe comme sa fille. D'ailleurs, elle comprit vite que sa petite-cousine ne souhaitait pas trop parler de son ancienne vie à Illum et elle n'insista pas.
Elle était éleveuse et possédait une petite ferme ainsi que beaucoup de terrain.
C'est également elle qui partit voir le professeur Acacia à Nox Illum pour aller chercher le premier pokémon de la jeune fille.
Un toute petit pétale de fleur, un Flabébée, pokémon type fée.
Sûrement qu'Agathe avait besoin d'un peu de magie pour tout reprendre à zéro.
Et quand Eilenn appris que sa petite cousine souhaitait devenir photographe, elle lui promis de toute faire pour qu'elle obtienne un contrat dans une agence.
En tout cas, cette nouvelle vie semblait plutôt bien commencer, bien qu'elle ne soit pas très coloré !